Aujourd’hui, la grande star des énergies renouvelables, dont on voit les
avatars élancés danser dans nos campagnes, c’est sans doute l’éolien.
Avec une
telle diva, on oublierait presque les modestes capteurs solaires et les
puissantes installations hydrauliques de nos rivières…
Et on passe sous silence d'autres techniques, encore confidentielles, celles
qui s’appliquent à capter la puissance de la mer.
Pourtant leur potentiel est
aussi vaste que l’océan agité au milieu duquel nous naviguons. Et de nombreux
prototypes ont déjà été mis à flot.
A l'origine de l'énergie marine, il y a d'abord le soleil qui envoie chaque
jour sur terre, invariablement, une énergie qui en quelques dizaines de secondes
seulement suffirait à satisfaire les besoins humains journaliers.
La majeure
partie en est captée par l’océan qui se réchauffe, s’anime de courants,
s’évapore et s’agite de vagues lorsque le vent – lui aussi une création solaire
– vient lui caresser les flots.
Ajoutons à cela les marées et les courants que ces dernières créent, mais
aussi les différences de température ou de salinité qui sont autant de potentiel
énergétique, et nous avons dans l’océan un joyeux bouillon d’énergie qui a de
quoi titiller l’imagination des scientifiques et susciter l’intérêt de nos
sociétés préoccupées par leur dépendance aux ressources fossiles.
Des approches très différentes sont aujourd'hui engagées pour exploiter ces
énergies marines.
Les Français connaissent bien l’une d’entre elles, l’énergie marémotrice,
puisque la Bretagne accueille la plus grande, et de très loin, des usines
exploitant la marée.
Barrant l’estuaire de la Rance, elle est traversée dans un
sens puis dans l’autre par l’eau de mer. Ses turbines produisent depuis 1966
près de 500 GWh par an, environ le quinzième de la production d’un réacteur
nucléaire et de quoi alimenter 3% des besoins électriques bretons.
L’exploitation continue de l’usine de la Rance pendant quarante ans a démontré
la viabilité de cette technologie. Mais la lourdeur des installations, le petit
nombre de sites adéquats dans le monde et les conséquences environnementales ont
de fait limité son développement.
Cette installation en Irlande du Nord
utilise les puissants courants créés par la marée dans un étroit canal.
Il y a quelques semaines, elle a fourni ses premiers kWh au réseau électrique.
En France, un projet pilote sera installé dès 2011 au large de Paimpol. Le
Royaume-Uni et la France concentrent la grande majorité du potentiel hydrolien
européen.
Les courants marins constituent une autre voie de recherche. Pour exploiter
l’énergie du vent on utilise des éoliennes, pour l’énergie des courants ce
seront des turbines sous-marines appelées hydroliennes.
Selon le Programme d'Action Coordonnée pour l'Energie des Océans de l’Union européenne, la ressource disponible en courants marins
dans les mers européennes est d’environ 12 GW, soit l’équivalent d’une dizaine
de réacteurs nucléaires ou de 20 % de la puissance éolienne déjà installée sur
notre continent.
Un potentiel relativement modeste mais qui pourrait, selon ses
promoteurs, trouver sa place aux côtés de l’éolien. En effet, les courants
marins possèdent un avantage considérable par rapport aux vents : ils sont
prévisibles.
Aujourd’hui le caractère aléatoire de la ressource éolienne limite
en effet la proportion que cette énergie peut prendre sans risque dans le
bouquet énergétique d’un pays. Autre avantage, les turbines immergées sont
invisibles, elles laissent les paysages marins immaculés.
Les énergies osmotiques et thermiques constituent les moins évidentes des
énergies marines. Nous avions déjà parlé du phénomène d’osmose à l’occasion
d’articles sur la purification de l'eau potable et sur le dessalement de l'eau de mer.
Décidément il n’en finit pas d’offrir des débouchés. Ici il
s’agit d’utiliser la pression osmotique qui se crée lorsqu’on met en contact eau
salée et eau douce à travers une membrane. Ce genre d’installation serait
localisé aux embouchures de rivières.
Près d’Oslo une usine pilote est déjà en construction.
Les installations d'énergie thermique marine pompent
l'eau froide à plusieurs centaines de mètres de profondeur afin d'alimenter une
machine thermodynamique. Le Japon (ici un prototype embarqué) et les Etats-Unis
possèdent les programmes les plus aboutis. La France a abandonné le sien en 1987
mais de récentes déclarations laissent entendre que son développement pourrait reprendre en
Polynésie.
Quant à l’énergie thermique, elle provient des différences de température
entre les eaux froides des profondeurs et les eaux plus chaudes de surface. Plus
la différence de température est grande, plus l’énergie potentielle est
importante. Cette technologie serait donc tout indiquée pour les pays tropicaux.
Dès les années 1930, un ingénieur français, Georges Claude, expérimentait cette technologie à Cuba.
Son potentiel est énorme, elle pourrait théoriquement
répondre à la demande électrique mondiale…
Enfin, il nous reste à parler des vagues. Et là chercheurs et ingénieurs se
lâchent : bouées baladées par la houle, pistons amarrés en fond de mer, barrages
flottants, serpents de mer se tortillant à la surface, c’est le domaine où la
recherche produit le plus grand nombre de concepts. Pas moins de 1000 brevets
ont été déposés de par le monde.
On trouve sur chacun de ces sites des animations et photos de ces prototypes :
il est passionnant de voir se confronter dans ces illustrations les vagues
familières de l’océan et les esquisses de machines d’un genre entièrement
nouveau. La puissance des vagues est maximale entre 30 et 60 degrés de latitude.
L’Europe, bien située, aurait selon le Programme d'Action Coordonnée pour l'Energie des Océans un potentiel de 300 GW, soit 5
fois la capacité des réacteurs nucléaires français ! Efficacité, résistance au
milieu marin (corrosion, tempête), facilité d’accès sont les facteurs qui
détermineront quels seront les concepts qui passeront le stade de
l’expérimentation.
Voici quelques projets :
La "colonne d'eau oscillante" est l'un
des concepts les plus aboutis. Les vagues (1) font varier la hauteur de l'eau
dans une colonne hermétique (2) qui expulse et aspire l'air qui y est contenu au
travers d'une turbine (3). Une telle installation est en place à Pico aux
Azores.
Le concept Wave Dragon utilise l'énergie des
vagues déferlantes qui viennent remplir un réservoir flottant surélevé avant de
retourner à la mer via une turbine. Après des tests en mer d'un petit prototype
depuis 2003 au Danemark, le programme a bénéficié en 2006 de crédits européens
pour construire une installation plus puissante. Rendez-vous en 2009 pour les
premiers résultats.
Le Pelamis est un serpent de mer de 120m. Il
constitué d'un ensemble de flotteurs articulés dont les mouvements les uns par
rapport aux autres produisent de l'électricité. Après un pilote au Pays de
Galles, 3 nouveaux Pelamis sont installés en ce moment au nord du Portugal.
Le projet Searev est porté par l'Ecole Centrale
de Nantes. A l'intérieur de cette bouée, un pendule lesté entraîne des vérins
hydrauliques.
Aujourd’hui, le coût de la production d’électricité générée par l’ensemble de
ces techniques est encore loin de pouvoir concurrencer le prix des sources
classiques d’énergie.
Les pouvoirs publics, en plus d’allouer des crédits de
recherche à ces projets, soutiennent donc leurs développements en achetant
l’électricité produite à prix fort. Ainsi en France, la loi impose aux
fournisseurs (EDF au premier rang) d'acheter l'énergie de la mer à raison de 0,15
€/kWh.
C'est deux fois plus que pour l'éolien (0,082€/kWh) mais encore timide
par rapport aux tarifs de 0,25 €/kWh fixés par le Portugal et le Royaume-Uni.
Avec l'intérêt grandissant des pouvoirs publics et des centaines de projets
en développement, la quête de l'énergie marine a bel et bien commencé.
Mais il
faudra attendre de nombreuses années pour que nous connaissions enfin lequel de
ces concepts, de l’hydrolienne ou du serpent de mer en passant par l'énergie
thermique, aura prouvé qu’il sait dompter l’océan.
Source : Libération/Aventure.blog