L'écologiste libanais Ibrahim el Ali nous fait un état des
lieux de la pollution des fleuves du Liban. Le constat est frappant et
ses témoignages inquiétants. La mobilisation doit concerner tous les
habitants vivant sur les rives de ces dépotoirs afin de forcer les
autorités locales à déployer les moyens nécessaires à leur dépollution
et à une solution durable.
1- Parlez-nous de vous-même? Votre formation? Votre profession? Vos activités?
Je suis président d’une ONG Mawassem Khair
(moissons de la bienfaisance) dont la seule mission est de faire
découvrir et sauvegarder ce patrimoine de la biodiversité et la
richesse de notre nature.
Membre de la communauté Libanaise du Sénégal, j’ai commencé mes
actions en Afrique avant de me consacrer exclusivement au
Moyen-Orient…. Là-bas, au côté de mon frère Haidar El Ali, je me suis
engagé, dans le cadre de l’association Océanium, dans la défense des
dauphins et des espèces protégées, puis dans l’effort de reboisement.
Au Liban ensuite, où je me suis rendu la première fois il y a cinq ans
seulement, accompagnant mon père suite au décès de ma mère. Le Liban
a été pour moi une révélation : j’y ai découvert une « Terre Sacrée »,
capitale de la biodiversité du Moyen-Orient, et je me suis, depuis
lors, engagé dans la protection de son riche patrimoine écologique. Mon
ONG, Mawassem Khair, Moisson de la Bienfaisance, en coopération avec la
FINUL, a participé au désamorçage de plus de 4000 bombes au Liban du
Sud, au reboisement de la région ainsi qu’à la lutte contre les
incendies, et surtout aux efforts de sensibilisation et d’éducation de
la population aux problèmes environnementaux.
Mon grand projet
actuel est de renforcer mes initiatives de reboisement du Liban,
d’assister les municipalités en matière de traitement des déchets et
des eaux usées, et de créer une agence d’information dédiée au
développement durable et aux questions d’éco-santé au Liban.
[Pour suivre les actions de Ibrahim El Ali et l'aider dans sa mission, rendez-vous sur son site : http://fondation-elali.blogspot.com/]
2-Que pouvez-vous dire des fleuves au Liban?
Le Liban, contrairement à ses voisins, dispose d’abondantes ressources en eau. Ses fleuves
sont à l’image des nombreux paradoxes de notre pays. Que ce soit notre
eau, nos montagnes, nos plantes et fleurs, notre littoral, nos oiseaux
migrateurs, ou la faune sauvage – affluence du trésor de la
biodiversité du moyen orient et gâchis permanents causés par la
cupidité -, l’écosystème libanais paye un lourd tribut à cause des
solutions de facilité et du manque d’implication d’un gouvernement
encore instable, davantage inquiet de son maintien et soucieux des
questions de sécurité, que de développement durable qui est pourtant
parti intégrante de la sécurité humaine.
Le Liban est composé de plus de 2000 rivières et de 40 fleuves dont
17 pérennes que sont le Nahr Litani, l’Oronte, Nahr Awali, Nahr
Ibrahim, Nahr Abu Ali, ainsi que 23 saisonniers.
Les principaux
polluants sont de nature agricole, avec l’azotate et le phosphore, par
les engrais et les différents pesticides de nature industrielle, les
lacunes en matière d’évacuation d’eaux usées et enfin de déchets
physiques de toute sorte. L’eau est la plus grande richesse des
décennies à venir, protégeons-la pour en tirer les fruits demain.
3- Quelles sont les activités qui polluent (les causes de la pollution) ?
Quelle question ! Tout pollue au Liban. L’agriculture, comme je le
disais tantôt, avec son surdosage en pesticides n’est certainement pas
le dernier des facteurs. Savez-vous qu’en France, 70 produits sont
acceptés comme pesticides alors qu’au Liban, nous en avons plus de 130
homologués, sans parler des produits de
contrebande ! L’activité industrielle à proximité des villes a une
grande part de responsabilité, en se débarrassant de ses surplus
toxiques, de peintures, d’huile de vidanges etc. Les déchets
domestiques, les déchets sanitaires, les rejets des déchets d’hôpitaux,
l’évacuation des égouts dans les fleuves, en zone urbaine ou dans les
campagnes constituent un fléau. Les fosses septiques dans nos maisons
laissent s’infiltrer les déchets et matières fécales dans les nappes
souterraines. Les diverses huiles de vidange des industries ou des
voitures sont hautement cancérigènes faute d’installations prévues pour
leur récupération. Enfin, soulignons notre mauvaise habitude de tout
déverser dans les fleuves après nos pique-niques familiaux.
4- Y a-t-il des fleuves plus pollués que d’autres? Les fleuves les moins (ou les non) pollués?
Oui, Nahr Ghadir qui traverse le sud de Beyrouth pourrait battre le
record du monde du fleuve le plus pollué, et le plus propre à mon sens
serait le fleuve Wazani, car il y a très peu d’agriculture à
proximité ; on y trouve même des poissons et une faune abondante.
Ce que l’on peut dire sur le sujet, c’est qu’il y a disparité du
dosage de polluants sur les différents fleuves. Le Ministère de
l’environnement a fait des études en 2006 et leur observation sur cinq
captages indique que les fleuves de Damour, d’Awali, de Beyrouth et du
Litani présenteraient un déficit en oxygène, entraînant un phénomène
d’eutrophisation qui est principalement provoqué par
une augmentation des niveaux de nitrate et de phosphate et par une
influence négative sur la vie de l’eau. En effet, en raison de
l’enrichissement, les plantes aquatiques, telles que les algues se
développent de façon intensive. Par conséquent, l’eau absorbe moins de
lumière et certaines bactéries aérobies deviennent plus actives. Ces
bactéries abaissent les niveaux d’oxygène à un tel niveau que seules
les bactéries anaérobiques peuvent être actives. Ceci rend la vie dans
l’eau impossible pour les poissons et les autres organismes.
Les déchets qui peuvent être décomposées par des bactéries sont gourmands en oxygène.
Cependant la demande de nitrogène est importante dans les fleuves de Damour et d’Awali.
En outre, le fleuve d’Awali sollicite du phosphore, au contraire
des fleuves de Beyrouth et du Litani. Malheureusement, ce déséquilibre
écosystémique des fleuves cause des épidémies.
5- On dit que la Méditerranée est la mer la plus polluée au monde. Quelle est la part du Liban dans ce désastre écologique?
Quiconque se baigne dans la mer Méditerranée a de fortes chances de
tomber sur des ordures, et plus on remonte vers le nord, plus les
concentrations sont fortes à cause du courant qui ramène tout de Tyr à
Tripoli.
Il y a 33 unités de résidus par mètre carré d’eau, sans oublier les
dommages occasionnés par les plastiques, confondus avec les méduses
dont se nourrissent nos tortues, dauphins et les oiseaux migrateurs.
L’état du fleuve Ghadir qui traverse le sud de Beyrouth, notre
montagne d’ordures de Saida, et celle de Ras al Ayn au dessus de la
source d’eau qui alimente toute la ville de Tyr, résument à eux trois
toute la problématique de l’environnement au Liban.
Tous ces déchets se jettent à volonté dans la mer. Une mer déjà
largement polluée suite à la destruction des réservoirs d’hydrocarbures
de la centrale de Jiyeh, vomissant plus de 15.000 tonnes de mazout
sur notre littoral. Outre nos vies et nos maisons, notre nature a subi
de lourds dommages et ceux-ci perdurent à nos jours.
La reconstruction après la guerre s’est caractérisée par une
surconsommation en eau et surtout en sable du littoral, véritable
filtre empêchant toute la salinité et la pollution marine de remonter
dans nos fleuves. Les produits chimiques des bombes se retrouvent dans
nos nappes phréatiques, et enfin, sont responsables en partie des feux
de forêt.
La fragilité politique du Liban le transforme en dépotoir.
Le Liban est dans la confluence du trafic des tankers de pétroliers qui
y déversent allègrement tout leur surplus. Chaque année, 400 000 tonnes
d’hydrocarbures sont déversées de façon illicite dans la Méditerranée,
jusqu’à 10 grammes d’hydrocarbures par litre.
Les sources de pollution les plus directes sont les fleuves et les
systèmes qui drainent les eaux usées des zones urbaines pour les
déverser en mer. Quand aurons-nous enfin nos stations d’épuration
d’eaux usées ?
La mer méditerranée est la plus polluée du monde, son nettoyage doit
constituer une priorité de l’Union Pour la Méditerranée (UPM).
Tout le monde a compris les interdépendances en matière d’écologie :
un sac de plastique qui tombe à Saida peut se retrouver à Marseille.
6 Quelles sont les conséquences de cette pollution sur l’environnement et sur la santé du citoyen?
J’ai toujours été frappé par le taux élevé de cancer au Liban, alors
que notre régime alimentaire proche du régime crétois, est le meilleur
du monde. La pollution de l’eau au Liban en est certainement l’une des
causes.
La pollution des fleuves est un véritable danger pour la santé, la
proximité des habitations sur le fleuve traversant les villes fait que
l’effusion des produits PCB ou encore polychlorobiphényles, classés
comme polluants organiques persistants (POPS) et employés
industriellement comme additifs dans les peintures, les encres et les
huiles mécaniques, sont très peu biodégradables, et hyper cancérigènes.
Les bactéries, les virus, les protozoaires et les vers parasites qui
se développent dans les égouts et les eaux usées non traitées et
l’accès à une eau potable de mauvaise qualité (Pratiquement partout au
Liban), entraînent toute sorte de maladies (diarrhée, dysenterie,
gastroentérite, etc.). Outre le cancer, de nombreux patients sont
atteints par l’hépatite A et la typhoïde. Ceci se vérifie plus au nord
et au sud (régions recevant l’eau potable avec parcimonie). On boit
encore dans ces régions de l’eau de pluie stockée dans des cuves en
béton pendant toute l’année, sans aucune forme de traitement.
Enfin, les composés radioactifs hydrosolubles peuvent causer des
cancers, des malformations chez les nouveau-nés et des modifications
génétiques et sont donc des polluants de l’eau très dangereux.
L’actualité nous parle de produits hautement radioactifs destinés à
l’agriculture, contenant un cobalt-36 source de -60 capable de tuer une
personne en quelques minutes. Ce produit devait être utilisé pour un
projet de lutte contre les mouches qui détruisent les récoltes, en
particulier les pommes. Je trouve vraiment cette information très
inquiétante. Toutes les formes de pollution finissent dans l’eau puis
affectent notre santé. Comment pouvons-nous raisonnablement penser que
seuls les poissons des fleuves vont mourir et que cette pollution nous
épargnera?
7- Quelle est la responsabilité du gouvernement dans cette lutte contre la pollution?
Je ne voudrais pas trop accabler de reproches le gouvernement
libanais qui d’une part se débat pour survivre dans un contexte
politique interne et régional compliqué, et qui d’autre part n’ose pas
prendre de mesures courageuses de crainte que cela ne contrevienne aux
intérêts des paysans, déjà très affectés par la crise. Une telle option
lui ferait perdre encore plus de crédit auprès des populations rurales.
Les rapports du CNRS rattaché au Premier ministre sont formels et
font le détail précis de toutes les formes de pollution dans notre
agriculture et dans nos sources d’eau. Les mesures à prendre sont
connues par nos scientifiques mais la stabilité sociale déjà ô combien
fragile dans notre pays, ligote le gouvernement. Qui osera toucher aux
subventions sur le tabac qu’on finit par brûler, ou imposer une
agriculture biologique et travailler pour un Liban écologique ?
Quelle est la responsabilité du citoyen qui ne paie pas ses factures
d’eau tout en augmentant son débit, qui déverse toutes ses poubelles
dans nos fleuves ?combien de maires ont détourné des licences de forage
des municipalités dans leur villa ? En matière d’environnement, la
responsabilité incombe avant tout à nos curés et « sayyids », à nos
municipalités, à nos instituteurs. Le travail doit être fait au niveau
de la société civile pour parvenir à responsabiliser le citoyen, en
menant des campagnes efficaces de sensibilisation et à condition de
rétablir l’équilibre de la distribution de l’eau dans les différentes
régions et d’assurer une meilleure gestion des deniers publics. Le
principal effort doit être consenti par l’Etat qui doit rester
exemplaire pour que nos municipalités si pauvres en moyen financiers
finissent par se mobiliser. (Il n’est pas interdit de rêver).
8- Parlez-nous de votre prochain (ou plutôt actuel?) Projet?
Trois projets me tiennent à cœur.
Le premier est le nettoyage du Nahr Ghadir descendant le Chouf pour
traverser les quartiers populaires du sud de Beyrouth avant de se jeter
dans la mer. Ce fleuve est un « poison ambulant », et concentre toutes
les formes de pollutions qui existent au Liban.
On y trouve des concentrations très élevées de métaux lourds, du nitrate, des bactéries, source de maladies pour les riverains.
Pour nettoyer ce fleuve efficacement, il faut impérativement
sensibiliser du même coup les paysans qui fournissent le maraîchage de
Beyrouth en utilisant des pesticides et des engrais à fortes doses,
les industriels du Chouf et de la région de l’aéroport, qui utilisent
ce fleuve comme poubelle de leurs produits toxiques, et enfin la plus
forte démographie de tout le Liban, qui vit dans ces quartiers et qui y
jette soit ses détritus, soit ses eaux usées.
Mon deuxième projet est un vaste programme de reboisement.
Mon troisième est de rajouter deux réserves ou parcs nationaux dans
le programme du ministère de l’environnement. L’un serait la forêt de
pins de Jezzine, le second cette magnifique forêt riche en biodiversité
de wadi hjer partant de Zawtar à Majdal dans la région de Nabatiyé, et
développer l’écotourisme.
Source : LibnaNews