Signé en février 2004 et
entré en vigueur en avril 2007, l’accord de
libre-échange d’Agadir impliquant le Maroc,
l’Egypte, la Jordanie et la Tunisie, a du mal à produire
les effets escomptés.
Conçu pour la levée
immédiate des barrières non tarifaires et
l’instauration progressive d’une zone de libre
échange, force est de constater que l’accord
d’Agadir est difficile à appliquer.
En témoignent
la faiblesse des échanges entre les pays signataires et la
dernière affaire du blocage, par les autorités marocaines
du convoi de véhicules appartenant à la
société égypto-turque
« Tamsa ».
En partant cet incident, Errachid
Majidi, chercheur en économie à l’Université
Paul Cézanne, nous montre comment le lobbying des corporations
et une perception erronée des fondements du libre-échange
produisent l’inertie qui caractérise jusqu’à
présent le fonctionnement de l’accord d’Agadir.
Au cours du mois de Janvier 2009, les
services de douane marocains ont bloqué un convoi de
véhicules neufs appartenant à la société
égypto-turque « Tamsa ».
Le motif
présenté par les autorités marocaines était
celui de la non-conformité de ces véhicules aux
modalités stipulées par « l’accord
d’Agadir », un accord signé en 2004 entre le
Maroc, l’Egypte, la Jordanie et la Tunisie, et qui implique la
levée immédiate des barrières non tarifaires et
l’instauration progressive d’une zone de libre
échange.
Les égyptiens de leur côté
invoquent une barrière administrative et technique dont
l’objectif réel est d’empêcher leurs produits
d’accéder au marché marocain. Entré en
vigueur depuis avril 2007, force est de constater deux ans plus tard
que l’accord est difficile à appliquer.
Comment expliquer
ces difficultés ?
Il semble qu’il ait un point commun entre le
comportement des deux gouvernements marocain et égyptien :
chacun est en grande partie guidé par la pression exercée
par certaines corporations.
Car en effet, en Egypte c’est le
secteur automobile qui se sent menacé par l’arrivée
de la « logan » assemblée au Maroc.
Malgré l’entrée en vigueur de l’accord en
Avril 2007, les exportateurs marocains ont trouvé
d’énormes difficultés à exporter la
« logan » en Egypte.
La raison de la
non-conformité aux normes de qualité
évoquée reste peu convaincante car la voiture
s’exporte déjà vers des marchés plus
exigeants sur la qualité (France, Espagne).
En
réalité, ce blocage est le résultat du lobbying
des six chaînes de montages égyptiennes qui veulent
conserver leurs parts dans un marché interne d’automobile
très protégé.
Du côté marocain, dans plusieurs secteurs,
surtout le textile et l’agriculture, on voit d’un mauvais
œil l’arrivée de produits égyptiens.
Dans ce
cadre, le gouvernement marocain a fini par contenter les producteurs de
riz marocains qui avaient pointé du doigt la
« menace » que présente
l’importation massive de riz égyptien sur leur
activité économique.
Ces deux cas montrent clairement
qu’en cédant aux pressions de ces groupes, les
gouvernements mettent en avant leur volonté de
« protéger » les économies de leurs
pays de ce qu’ils pensent être des « menaces
liées au libre échange ».
Selon cette logique,
l’échange est forcément un jeu à somme nulle
où les gains d’une partie engendreraient automatiquement
les pertes d’une autre.
Même ceux qui ont compris que
l’échange est un jeu à somme positive
hésitent sur la reconnaissance d’une zone de libre
échange.
Il persiste en effet chez eux une idée assez
répandue selon laquelle lorsqu’il y a une ressemblance
dans les structures productives des pays, l’échange de
produits similaires ne pourrait être avantageux pour tous les
partenaires.
La théorie fondatrice de l’économiste
britannique Ricardo stipule que les pays doivent se spécialiser
chacun dans des branches différentes dans lesquelles ils ont un
avantage comparatif en termes de productivité.
Ils
s’échangeraient alors librement leurs productions
respectives, bénéficiant des avantages de la
spécialisation.
On parle de commerce international
« inter-branches ». Cette théorie est
vraie mais elle peut être mal interprétée par
certains qui défendent alors l’idée que le
libre-échange n’est bénéfique que pour
l’échange de produits différents entre pays
différents.
Or, en pratique, comme l’a rappelé le prix
Nobel d’économie 2008 Paul Krugman, « en
majorité les échanges s’effectuent entre des pays
qui non seulement ont des caractéristiques similaires mais qui
échangent les mêmes produits ».
C’est le
commerce international « intra-branches ». Ainsi,
l’Allemagne et la France s’échangent mutuellement
des voitures. De même, pendant que la Suède exporte ses
Volvo vers l’Allemagne, celle-ci lui vend à son tour des
BMW.
L’argument de la similarité des produits
n’est donc pas soutenable pour justifier la fermeture
commerciale.
Comme l’explique Krugman, l’ouverture
commerciale reste bénéfique même entre pays aux
économies identiques parce qu’elle permet à chacune
des entreprises de faire des économies d’échelle en
bénéficiant d’un réservoir de consommateurs
plus large que sur le seul marché national, et parce qu’il
permet aux consommateurs de bénéficier d’un choix
plus large de marques et de prix plus bas, en aiguisant la concurrence
entre entreprises incitées à innover pour se
différencier de leurs concurrentes.
Comme l’a
rappelé un autre Prix Nobel, James Buchanan, un marché
plus grand permet plus d’opportunités et une division du
travail plus fine non pas simplement à l’intérieur
de sentreprises mais aussi entre entreprises, c’est à dire
qu’il favorise l’émergence de plus de firmes
spécialistes, et par conséquent une croissance
économique plus soutenue.
L’ouverture commerciale signifie plus de
goûts et de préférences à satisfaire et donc
plus d’opportunités pour les entreprises, plus de choix et
des prix plus bas pour les consommateurs, plus de spécialisation
et donc un réseau économique plus dense qui est le
soubassement d’une croissance économique plus
dynamique : ainsi les marocains et les égyptiens gagneront
toujours à échanger librement.
Le problème de fond ici est loin
d’être lié à l’accord d’Agadir
lui-même ni aux modalités de son application :
l’obstacle majeur viendrait plutôt de la façon dont
il est perçu.
C’est donc de la pédagogie et de
l’émancipation par rapport aux pressions corporatistes
dont il est nécessaire, pour venir à bout de ce
problème et faire progresser les mentalités en leur
faisant comprendre les bienfaits d’un marché ouvert :
l’échange international est un jeu à somme positive.
Source : Afrik.com