A 200 kilomètres à l'est de Casablanca, au pied de l'Atlas, juste
au-dessus de la bourgade d'Afourer, un dispositif hydraulique digne des
Shadoks strie la montagne d'un filet clair.
Deux réservoirs d'eau de
1,3 million de m3 sont reliés par un "pipeline". Entre les
deux bassins, deux unités de production hydroélectrique forment le
coeur du système. A certains moments, l'eau descend ; à d'autres, elle
monte.
Baptisé station de turbinage et pompage (STEP), ce système permet au
Maroc de lisser les variations de production de l'éolien et du solaire
et de répondre rapidement aux éventuelles pointes de consommation.
Moins
médiatisée que l'éolien et le solaire, l'énergie hydroélectrique se
trouve pourtant une place de choix dans le développement des énergies
renouvelables.
Avec des dispositifs qui se démarquent des barrages
classiques. Une STEP fonctionne autour d'un aller-retour. Lorsque le
réseau a besoin d'électricité, l'eau est libérée du réservoir haut et
dévale dans les tuyaux pour alimenter les turbines des unités de
production électrique.
La STEP d'Afourer peut ainsi produire
460 mégawatts (MW), soit l'équivalent d'une centrale à charbon. L'eau
déversée dans le bassin inférieur est repompée vers le lac supérieur
lorsque le besoin d'électricité, et son prix, sont moindres. En
général, la nuit. Au total, le rendement d'une STEP - entre l'énergie
produite et celle qui est consommée - est de l'ordre de 70 % à 80 %.
La STEP d'Afourer, commandée au français Alstom, a été mise en place
fin 2004. Abdellah Moati, le directeur de la production de l'Office
national de l'électricité (ONE), souligne la gestion délicate de la
demande en électricité de son pays et le nécessaire stockage d'énergie.
"Les centrales thermiques classiques, au charbon, qui fournissent
une très grande part de l'électricité du pays, fonctionnent de manière
optimale lorsqu'elles sont à plein rendement, note-t-il. Le
surplus de leur énergie peut être stocké et restitué par la STEP. Par
ailleurs, en cas de pointe de la consommation, l'accroissement de la
production d'électricité par des centrales à turbines à gaz
représentant un coût élevé, il est plus rentable d'utiliser la STEP."
L'équation
économique de la STEP d'Afourer est améliorée par le fait que le
pompage de l'eau vers le lac supérieur, pendant la nuit, se fait avec
de l'électricité importée à coût très compétitif d'Espagne.
Mais
l'objectif de l'ONE est aussi la composition avec la STEP d'un
portefeuille d'énergies équilibré. Le Maroc affiche l'objectif de
produire en 2020 près de 20 % de son électricité grâce aux énergies
renouvelables, explique Saïd Mouline, directeur général du Centre développement des énergies renouvelables. Or "l'association de la STEP et des énergies renouvelables offre plus de stabilité dans l'alimentation du réseau", note Abdellah Saphar, qui supervise pour l'ONE l'exploitation des énergies renouvelables dans le sud du Maroc.
Les
STEP peuvent être déclenchées très rapidement, en quelques minutes. Et
contrairement à l'hydroélectricité classique, où l'eau n'est pas
récupérée, elles sont relativement protégées des risques de sécheresse,
même si l'apparition de boues, due à l'assèchement des cours d'eau qui
approvisionnent le bassin, peut parfois poser un problème.
"Il y a un regain d'intérêt pour toutes les formes de stockage d'énergie et la STEP répond bien à ce besoin de stockage massif", analyse Cédric Philibert, expert au sein du département des énergies renouvelables de l'Agence
internationale de l'énergie (AIE).
L'eau offre un stockage d'énergie
plus facile et plus long que les sels fondus ou l'hydrogène. Selon les
estimations de l'AIE, près de 100 GW de STEP sont installées ou en
cours de création dans le monde, et il existerait un potentiel pour
multiplier par dix cette capacité.
La France figure parmi les pays déjà conquis : dans l'Isère par exemple, EDF a associé une STEP au barrage de Grande Maison.
De l'autre côté de l'Atlantique, Steven Chu, le secrétaire à l'énergie de l'administration Obama, aime lui aussi
souligner le rôle essentiel que peuvent jouer les systèmes de
pompage-turbinage pour le stockage de l'énergie.
Des projets à
plus long terme envisagent la création de systèmes reliant des bassins
de pompage terrestres, ou des atolls artificiels surélevés, et la mer.
Au Maroc, convaincu des avantages de la STEP, l'ONE se prépare à en
construire une deuxième près d'Agadir et une troisième au nord du pays.
Source : le Monde