Le Pr Belhanèche, enseignant chercheur au département environnement, à propos du recyclage, à “liberté”
Liberté : Comment pourrait-on résumer l’histoire du recyclage ?
Pr
Belhanèche : Après la crise pétrolière de 1973 et celle de 1979, la
communauté internationale a compris que les matières premières ne sont
pas inépuisables et on s’est rendu compte qu’il fallait arrêter la
consommation effrénée et sans aucun respect pour l’environnement. C’est
à partir de là qu’on s’est intéressé au recyclage et, depuis, tous les
matériaux sont recyclables. Cela permet de protéger les matières
premières et de les exploiter sur une durée très longue. Le pétrole
d’ici 30, 50 ans sera épuisé, or bon nombre d’industries pétrochimiques
sont issues du pétrole. Moi-même je travaille sur les matières
plastiques et ces matériaux posent problème sur le plan environnement.
Lorsqu’ils ont été découverts, ils ont été très intéressants sur le
plan application du fait de leur durabilité et de leurs propriétés
spécifiques. Donc, ils ont fini par concurrencer tous les matériaux
classiques (le bois, le verre, le papier, le carton... ). Ils ont
investi tous les domaines. Toutefois, ces matériaux ne sont pas
biodégradables, et une fois qu’ils sont produits, ils ont une durée de
vie infinie. On peut dire qu’ils sont éternels. Aucune étude ne peut
estimer la durée de vie réelle d’une matière plastique. Les polymères
synthétiques ne se dégradent pas. Et leur incinération est prohibée par
la réglementation — sauf en Algérie où les pneus sont brûlés à l’air
libre — excepté quand l’installation dispose de filtres, etc. car les
dioxines dégagées sont toxiques. Initialement, ces matières étaient des
produits de substitution qui ont fini par acquérir leurs titres de
noblesse. Actuellement, dans le monde, il y a une accumulation
considérable de déchets de matières plastiques.
En dépit du tri sélectif ?
Les
choses sont en train de se faire d’un point de vue réglementaire. La
sonnette d’alarme a été tirée par les associations écologiques. Le
pourcentage de recyclage reste faible. Dans les pays développés, le
législateur est en train de promulguer des textes pour encourager les
producteurs et fabricants d’emballage pour envisager la durée de vie de
l’emballage, de sa création à sa fin de vie à l’état de déchet. Cela
suppose la recyclabilité du matériau par le producteur lui même : le
but étant de le responsabiliser. Même dans les pays développés, les
textes de loi ne sont pas appliqués. Il est par exemple demandé aux
producteurs de recycler à hauteur de 60 à 70%. Jusqu’à l’heure
actuelle, ces taux ne sont toujours pas atteints.
Dans les pays industrialisés comme la France, il est carrément question aujourd’hui de suppression des emballages (contenants)…
En
effet, au lieu des doses individuelles pour diminuer à la source le
nombre d’emballages qui va atterrir dans les décharges, en outre, il
est question de revoir à la baisse la production par la diminution de
l’emballage. Après les doses individuelles, la tendance s’inverse
aujourd’hui. On fabrique des emballages pour des contenances plus
importantes pour réduire l’emballage destiné au marché.
Pourquoi,
face à toutes ces problématiques et cette prise de conscience, le
recyclage n’est-il toujours pas à l’ordre du jour chez nous ?
Pour
que le projet se concrétise, il faut que les pouvoirs publics prennent
les choses en main. La filière du recyclage doit être bien organisée.
Il y a tout d’abord la phase de récupération qui suppose un tri
sélectif qui détermine le processus de recyclage en vue d’obtenir un
gisement de déchets homogène et propre.
La pierre d’achoppement se situe donc au niveau du tri, de la collecte et du coût ?
ll
En effet. Il y a la collecte sélective et la collecte multimatériaux en
vigueur chez nous. Tout est jeté pêle-mêle dans la même poubelle. Il y
a les ordures ménagères, les emballages en plastique, les journaux, les
cannetes de jus, etc. Et donc, lorsque le ramassage passe, les
matériaux collectés sont ipso facto contaminés par les ordures
ménagères. Il y a des matériaux qu’on peut recycler, mais avant, il
faut faire le tri avant de les acheminer vers les ateliers de
recyclage. Malheureusement, chez nous, cette étape se fait par des
particuliers, voire des réseaux bien organisés (des familles entières
ont investi depuis des décennies ce créneau) spécialisés, avec le
temps, dans le tri. Cela dans le cadre de la collecte multimatériaux.
Le problème de la contamination se pose avec acuité, car il influe
directement sur la qualité du produit recyclé. C’est pour cela que les
pays développés ont opté pour le tri sélectif, avec installation au
niveau des quartiers des différents containers destinés au verre, au
plastique et aux cartons. De cette façon, les récupérateurs ont des
gisements de déchets propres qui leur permettent de recycler de façon
convenable.
Dans
une des communes d’Alger, à savoir Hydra, il a été question d’une
opération-pilote de tri sélectif, il y a un peu plus d’une année.
L’opération n’a malheureusement pas porté ses fruits. Pourquoi selon
vous ?
C’est parce qu’il fallait déjà sensibiliser les
citoyens via une précampagne d’information et de sensibilisation. Ce
qu’il faut savoir, c’est que le tri est indispensable. C’est un
gisement énorme qu’on peut rentabiliser : création d’entreprises,
création d’emplois. Cette filière doit être organisée et prise en
charge par les pouvoirs publics. C’est avant tout l’affaire des
municipalités qui doivent décider de l’endroit précis où installer ces
containers au niveau des différentes communes.
Alors
que le tri sélectif est relégué aux calendes grecques, on s’intéresse
de plus en plus aux broyeurs. Cela n’est-il pas antinomique ?
Non,
vu qu’il existe des entreprises privées algériennes qui recyclent. Il y
a même les Chinois qui font du recyclage. Une partie des déchets est
recyclée en Algérie, une autre est carrément exportée vers la Chine.
C’est un secteur qu’il faut développer, mais surtout organiser.
Aujourd’hui, le tri est fait en aval au niveau des décharges par des
enfants, sinon par un réseau qui fait de la récupération par lots
(verre, carton, métaux ferreux... ) et qui les revendent aux
entreprises. C’est très dangereux, surtout quand ce sont des enfants
qui font la fouille dans les déchetteries qui sont des bouillons de
culture de microbes. Les produits récupérés sont vendus au kilogramme.
S’il s’agissait de la collecte spécifique, la filière serait mieux
organisée : les camions de ramassage achemineraient des déchets propres
vers les centres de récupération. Car ces matériaux issus des décharges
sont contaminés. Ce qui pose problème au niveau du recyclage vu que
cela va générer un matériau recyclé de mauvaise qualité. Il faut un
lavage préalable ; plus le matériau est contaminé, plus le lavage est
long (lavage à l’eau froide, sinon à l’eau chaude quand le produit est
contaminé par de la matière organique) et consomme beaucoup d’eau.
Que fait-on des plastiques recyclés, pour ne citer que ces polymères ?
Pour
les matières plastiques, il existe trois recyclages : le recyclage
matière, le recyclage thermique et le recyclage chimique. Pour le
recyclage matière, le déchet est lavé, broyé puis transformé en
granulés auxquels on peut rajouter de la matière vierge pour les
valoriser. Il faut savoir, pour rappel, qu’on ne peut jamais réutiliser
des matériaux recyclés pour un usage alimentaire, à cause des
contaminations résiduelles, exception faite pour le papier recyclé. En
revanche, on les utilise pour différentes applications dans la mesure
où la réglementation est respectée. C’est la question que l’on se pose
pour les entreprises chinoises qui font du recyclage, mais on ne sait
pas ce qu’elles font exactement. Néanmoins, les échos ne sont pas très
favorables : on parle d’allergies en tous genres, à cause des
chaussures de fabrication chinoise. D’autre part, la filière
exportation des métaux ferreux et non ferreux est bien organisée.
N’est-ce pas une perte pour l’Algérie ?
Si, malheureusement.
C’est
un gisement énorme qui mériterait d’être exploité. Le complexe de
Skikda est spécialisé dans la fabrication de matières plastiques dont
le recyclage permettrait la création d’emplois. Avec la hausse probable
du prix du pétrole, il faut savoir que ces matières sont appelées à
être de plus en plus chères, donc davantage valorisées. Et une tonne de
matières plastiques recyclée permet d’économiser une tonne et demie de
pétrole. Il faut impérativement développer des stratégies pour aller au
niveau des décharges qui existent depuis 30, 40 ans, et récupérer ces
dernières qui constituent par ailleurs une véritable pollution
visuelle. La collecte sélective est impérative aujourd’hui, les lots de
déchets propres sont valorisés. La gestion des déchets solides incombe
aux municipalités, il n’en demeure pas moins que c’est aux pouvoirs
publics d’impulser des actions allant dans ce sens, comme
l’instauration de taxes. Il est impératif aujourd’hui de réduire les
quantités de déchets, c’est une stratégie mondiale.