Industrie : la Tunisie met le turbo© DRTerminé
les usines low cost. Place à la matière grise. C’est l’ambitieux défi
du pays, qui espère multiplier par dix ses exportations industrielles
et créer 200 000 emplois d’ici à 2016.
« La Tunisie ne
doit plus dormir sur ses lauriers », tel est le nouveau leitmotiv du
ministre de l’Industrie, de l’Énergie et des PME, Afif Chelbi.
À
56 ans, cet ingénieur de l’École centrale de Paris lance la bataille de
la nouvelle industrie tunisienne pour la conquête de l’espace
euro-méditerranéen : un marché de 800 millions de consommateurs en 2009
et de 1 milliard en 2016.
Avec le label « The Euromed Valley for
Industry and Technology », Afif Chelbi n’a peur de rien. « Nous avons
tous les atouts pour réussir ce nouveau challenge : la proximité de
l’Europe, la matière grise, une politique macroéconomique adéquate et
un cadre de vie agréable », nous a-t-il dit en résumé.
Il sera le
8 octobre à Paris pour le lancement de la campagne de promotion de la
stratégie industrielle tunisienne à l’horizon 2016. Il expliquera au
ministre français chargé de l’Industrie, Christian Estrosi, et au
président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP),
Pierre Simon, devant un parterre d’une centaine d’industriels français
et tunisiens, la « nouvelle dynamique industrielle » qui va englober
tous les secteurs d’activité (textile et habillement, agroalimentaire,
mécanique, électronique, aéronautique…) ainsi que les services de
pointe (back-office financier, comptabilité, marketing).
Son
argumentaire s’appuie sur une étude stratégique réalisée à sa demande
par les cabinets Ernst & Young et SB Conseil France en association
avec le Centre d’études et de prospective industrielles.
Elle inscrit une nouvelle étape de la jeune industrie tunisienne,
quasi inexistante en 1956, après l’indépendance.
Ses exportations
étaient limitées aux produits agricoles (agrumes, huile d’olive, alfa,
vin) et aux minerais bruts (phosphates, plomb, fer). Dans les années
1960, les projets industriels ont surtout porté sur les unités à forte
intensité de main-d’œuvre (comme le plastique, la mécanique, le montage
automobile, le textile…) et quelques unités lourdes (acier, chimie, et
raffinage).
En 1969, les exportations industrielles ne dépassaient pas
2 millions de dinars (DT, l’équivalent de 4 millions de dollars), soit
2 % des ventes totales du pays, dont 1,7 million de DT pour le textile
et 74 000 DT pour la quincaillerie !
Les années 1970 marqueront le
premier grand tournant avec l’accord d’association avec l’Union
européenne (ex-CEE), l’adoption du libéralisme et le lancement des
entreprises offshore. Résultat : les exportations de textiles
atteignaient 509 millions de DT en 1987 (300 fois plus qu’en 1969),
tandis que celles des industries mécaniques et électriques grimpaient à
67 millions de DT (900 fois plus).
S’ancrer à l’Europe
Le deuxième tournant, négocié dans les années 1990, permit à la
Tunisie de diversifier davantage les secteurs d’activité et de les
ancrer plus solidement sur le marché européen. Bien avant tous ses
concurrents du Bassin méditerranéen, Tunis signa un nouvel accord de
partenariat avec l’UE en 1995 doté d’une zone de libre-échange
industriel.
Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2008, le temps de la
« mise à niveau » des industries tunisiennes. Une opération réussie
comme le démontre l’étude stratégique 2016. La moitié des 6 000
entreprises industrielles (d’au moins 10 salariés) travaillent à 100 %
pour l’exportation.
Elles emploient près de 300 000 cadres et ouvriers,
soit 60 % de l’emploi industriel. L’industrie manufacturière – hors
énergie et mines – assure aujourd’hui le cinquième du produit intérieur
brut et les quatre cinquièmes des exportations nationales.
La Tunisie
est, selon Eurostat, le premier fournisseur industriel d’Afrique du
Nord de l’UE, avec 7 milliards d’euros de ventes en 2007, loin devant
le Maroc (5,3 milliards), l’Égypte (3,2) et l’Algérie (0,4).
La concurrence menace
Mais, face à la concurrence qui vient des pays émergents de l’Europe
de l’Est et de l’Asie, la Tunisie est menacée. Elle risque de perdre
des parts de marché à cause d’une compétitivité basée surtout sur la
faiblesse de ses coûts (main-d’œuvre, fiscalité).
Elle mise plus sur le
volume que sur la technicité. Exemple : avec ses 2 400 entreprises
(40 % du tissu industriel), le secteur textile assure 25 % des
exportations industrielles. Mais il contribue à 4 % seulement du PIB.
Il est désormais moins générateur de croissance que le secteur des
industries mécaniques, électriques et électroniques (IMEE). Avec
seulement 900 entreprises, les IMEE assurent 26 % des exportations et
5 % du PIB.
Dans les années à venir, ce sont les IMEE qui devraient progresser
au rythme de 13,2 % par an, trois fois plus que le textile. Elles
seront les nouveaux vecteurs du troisième tournant industriel en cours
de gestation.
Tunis veut tripler les investissements industriels
annuels (à 1,5 milliard d’euros en 2016, contre 0,5 milliard en 2007).
Et doubler la valeur de ses exportations industrielles pour atteindre
les 16 milliards d’euros par an en 2016.
Fini le temps des jeans et
tee-shirts, du minerai de phosphate, de l’huile d’olive en vrac. Place
désormais aux produits de haute technicité, comme les équipements
électroniques embarqués (voitures, avions, moteurs), aux textiles
techniques (antifeu, antibactérien…), aux biotechnologies…
La ligne
directrice sera unique : une économie du savoir et non l’économie de
rente, les pôles industriels intégrés (ou clusters) et non la
sous-traitance. À l’instar du parc aéronautique en cours de
construction, autour du projet Aérolia, à 40 km au sud de Tunis : prévu
sur 30 ha, ce parc abritera plusieurs autres usines qui travailleront
aussi pour Aérolia (mécanique de précision).
On prévoit un
investissement global de 60 millions d’euros et 1 500 emplois de haut
niveau.
D’autres clusters vont essaimer à travers tout le pays. Ces nouveaux
pôles fédérateurs et spécialisés seront bâtis à Bizerte au nord, à
Sousse, Enfidha et Monastir au centre, à Sfax et à Gabès au sud. Plus
de 1 000 ha de terrains seront aménagés par l’État.
Les entreprises
auront tout à portée de main, les infrastructures, mais aussi les
instituts de formation des ingénieurs, les centres de recherche, les
pépinières, les centres d’affaires…
Secteur leader, les IMEE devront
investir 2 milliards d’euros pour un objectif de 45 milliards d’euros
générés à l’export sur la période 2007-2016 (45 000 emplois nouveaux),
suivis par les textiles et cuirs (1 milliard pour 30 milliards à
l’export et la création de 40 000 emplois), et l’agroalimentaire
(2 milliards d’euros pour 10 milliards à l’export, 34 000 emplois). Si
tout fonctionne à merveille, la Tunisie devra investir au total une
dizaine de milliards d’euros et exporter pour dix fois plus !
Soit une
centaine de milliards d’euros gagnés à l’international. L’enjeu : créer
200 000 nouveaux postes de travail, soit 25 % des demandes
additionnelles d’emploi.
Pour le ministre Afif Chelbi, le principal
défi de la campagne promotionnelle en cours (jusqu’en décembre) est de
faire passer le message suivant : « La Tunisie n’est pas seulement une
destination touristique, c’est aussi une destination industrielle. »
Source : Jeune Afrique