Pays où les précipitations sont généralement insuffisantes et variables dans le temps et l'espace, enregistrant des quantités oscillant entre 600 et 1000 millimètres (mm) par an au Nord, 350 mm en moyenne au Centre et inférieures à 100 mm au Sud, la Tunisie a désormais de plus en plus recours à l'irrigation afin de régulariser d'une année à l'autre, la production agricole.
La culture en irrigué participe à hauteur de 35% de la valeur de la production agricole du pays, à 95% de la production maraîchère et 30% des produits laitiers. Elle contribue à hauteur de 20% de la valeur des exportations agricoles et compte pour 20% de la création d'emplois dans l'agriculture.
La Tunisie dispose d'un potentiel mobilisable en eau de 4800 millions de m3 (Mm3) par an, et partant figure parmi les pays les plus démunis en eau du bassin Méditerranéen, sachant que ce potentiel représente un quota par tête d'habitant de 480 m3/hab/an, très inférieur au seuil minimum admis au niveau international (1000 m3/hab/an).
La demande en eau pour l'ensemble des secteurs socio- économiques est actuellement de 2600 mm3/an. Elle se répartit entre les secteurs de l'agriculture (80%), l'eau potable et le tourisme (16%) et l'industrie (4%).
Les ressources en eau aussi bien que le potentiel en sols irrigables étant limités, la demande en eau de l'agriculture se stabilisera autour de 2100 mm3 à l'horizon 2010.
D'ores et déjà, 405 mille hectares sont irrigués en intensif et équipés de stations de pompage, de conduites de distribution et à environ 60 mille autres hectares en semi intensif, bénéficiant d'une irrigation d'appoint, soit une quantité additionnelle en eau (100 à 200 mm par an) venant s'ajouter aux eaux pluviales.
Les périmètres publics irrigués en intensif sont alimentés, respectivement, à partir des barrages (140.000 ha), des forages (77.000 ha) et des eaux usées traitées (8000 ha), soit une superficie totale irriguée de 225 000 ha (55% de la surface totale irriguée). Ils sont situés au nord à raison de 63 pc, au centre (21%) et au sud (16%).
Une telle répartition s'explique, essentiellement, par la disponibilité des ressources en eau. Par conséquent, 86 pc des périmètres sur barrages sont situés dans le bassin versant de la Medjerda, donc principalement dans le nord.
Les périmètres sur forages sont quant à eux éparpillés un peu partout dans le pays à savoir 19% dans le nord, 35% au centre et 46 pc au sud.
Les périmètres du nord sont à vocation céréalière et fourragère. Ceux du gouvernorat de Nabeul sont spécifiquement destinés aux plantations agrumicoles et aux cultures maraîchères.
Les périmètres irrigués du centre sont surtout producteurs de fruits (arboriculture), de cultures diverses, de maraîchage et de cultures annuelles diverses (céréales, fourrages).
Les périmètres irrigués du Sud sont des oasis traditionnelles et nouvelles pour lesquelles d'importants investissements ont été consentis, en vue de les préserver et de promouvoir la Deglet Ennour, notamment dans les Gouvernorats de Tozeur et Kebili.
Quant aux périmètres irrigués privés réalisés par les exploitants eux-mêmes, ils couvrent 180 000 ha, soit 45% de la surface totale irriguée. Ils sont alimentés à partir des puits de surface (150 000 ha) et des forages privés (30 000 ha). Des subventions de l'Etat leur sont accordées à titre d'encouragements, variant de 25 à 60% selon le type d'aménagement.
Le système cultural est très diversifié et l'intensification y est à son maximum, engendrant un risque de surexploitation des ressources hydrauliques. Par spécialité culturale, les 465 mille hectares de périmètres irrigués (intensifs et semi-intensifs) sont répartis entre les fourrages (15%), l'arboriculture (34%), les cultures maraîchères (30%), les céréales (17%) et les cultures diverses (4%).
Par ailleurs, les dernières décisions présidentielles annoncées à l'occasion de la journée de l'agriculture le 12 mai 2008, visent à porter la superficie consacrée aux céréales à 120 mille ha en 2011, contre 80 mille ha actuellement.
Rationaliser l'utilisation de l'eau d'irrigation
Le programme national d'économie d'eau en irrigation (PNEE), adopté à partir de 1995 a pour objectif la rationalisation de l'utilisation de l'eau d'irrigation, sa valorisation économique et le maintien de la demande en eau à un niveau compatible avec les ressources disponibles.
Les superficies équipées de techniques modernes d'économie en eau d'irrigation sont de l'ordre de 335 000 ha répartis comme suit : 122 000 ha en irrigation localisée (autour de la plante et de ses racines), 110 000 ha en aspersion (pulvérisation au-dessus du feuillage), 102 000 ha en irrigation de surface améliorée (ne nécessitant pas de pression).
Mme Raqya Al-Atiri, directrice de l'économie des eaux au ministère de l'Agriculture et des Ressources hydrauliques, rappelle que l'irrigation localisée s'adapte aux cultures maraîchères et à l'arboriculture et celle par aspersion est plus indiquée pour les grandes cultures et les fourrages.
Les résultats du PNEE, indique Mme Al-Latiri, ont démontré qu'en adoptant un système d'irrigation efficient, l'agriculteur obtient des bénéficies additionnels pouvant dépasser le double de ce qu'il obtenait avec un système d'irrigation traditionnel.
Pour les cultures maraîchères, le bénéfice additionnel est de 97%, il est de 28 à 35% pour l'arboriculture. Les taux de recouvrement des investissements relatifs à l'équipement en matériel d'économie d'eau, soit la couverture des charges additionnelles par les bénéfices additionnels, sont respectivement estimés pour les cultures maraîchères à 350%, l'arboriculture fruitière à 325% et les grandes cultures à 109%.
Ce recouvrement des coûts relatif à l'économie de l'eau au niveau de la parcelle est atteint la deuxième année. D'où l'appel lancé aux agriculteurs pour mettre à profit les investissements consentis et les équipements d'économie d'eau mis à leur disposition.
Depuis 1995, 818 millions de dinars ont été investis à titre privé dans les équipements d'économie d'eau, dont près de 50% représentent des encouragements financiers accordés par l'Etat.
S'agissant de la politique de gestion de la demande en eau, l'Etat poursuit ses efforts en matière d'implication des usagers et d'encouragement de la gestion participative en vue d'une prise en charge efficiente et viable des aménagements hydrauliques par les bénéficiaires.
Le nombre total des groupements d'agriculteurs ou groupements de développement agricoles (GDA) gérant les systèmes d'irrigation a atteint, fin 2007, près de 1200 dont 125 GDA pour les systèmes mixtes, gérant aussi l'eau potable en milieu rural. La superficie des périmètres irrigués transférés aux GDA a atteint 183 000 ha, soit 81% des périmètres publics irrigués
Concernant la tarification de l'eau des périmètres publics irrigués, celle-ci est multipliée dans sa structure et dans les modalités d'application, selon les différents objectifs escomptés, à savoir la valorisation de l'eau, l'intensification agricole et le recouvrement des coûts de fonctionnement et d'entretien des réseaux d'irrigation.
A cet effet, des tarifs préférentiels ont été instaurés en 1998, pour encourager l'irrigation des cultures stratégiques, soit 50% des tarifs en vigueur, spécifiques aux céréales, fourrages et semences sélectionnées.
La tarification binôme ou système tarifaire binominal, à savoir l'établissement d'un tarif fixe en fonction de la superficie irrigable et d'un autre déterminé selon le volume d'eau consommé, a été généralisée.
Une nouvelle structure ou tarification trinôme a également été introduite. Il s'agit d'un troisième élément du tarif devant permettre de gérer d'une façon intégrée les ressources en eaux souterraines.
Les eaux usées traitées au secours de l'agriculture
Les eaux usées traitées (EUT) représentent une ressource qui se développe continuellement. Elles constituent une ressource en eau supplémentaire qui, valorisée en agriculture, assure une augmentation de la production et permet de préserver l'environnement grâce à la réduction de leur rejet dans le milieu récepteur. Leur utilisation est ainsi devenue une composante principale de la stratégie de rationalisation de l'utilisation de l'eau adoptée en Tunisie.
Dès 1998, des tarifs préférentiels ont été instaurés pour l'encouragement à l'irrigation à partir des EUT (soit un tarif de 20 millimes /m3 du coût de l'eau).
Les périmètres irrigués à partir des eaux usées traitées (EUT) s'élèvent ainsi à 8000 ha qui bénéficieraient de 40 millions de mètres cube, produits par an, par les stations d'épuration relevant de l'office national de l'assainissement (ONAS), lequel dispose de 95 stations d'épuration.
Sur les 8000 périmètres irrigués par les EUT, 3745 ha sont situés dans le gouvernorat de l'Ariana dont 3200 ha à Borj Touil et le reste dans d'autres gouvernorats, à savoir Ben Arous (1087ha), Nabeul (560ha), Béja (454ha), Bizerte (174ha), le Kef (150 ha), Siliana (80ha), Sousse (330ha), Monastir (90ha), Sfax (537ha), Kairouan (240ha), Kasserine (131 ha), Gabès (300), Médenine (30) et Gafsa (117 ha).
En matière d'utilisation des EUT à des fins agricoles, la règlementation nationale interdit, d'une part, l'utilisation des eaux usées brutes et d'autre part l'irrigation par les EUT des cultures dont les produits sont consommables crus.
Les eaux usées traitées au niveau secondaire et mises à la disposition de l'agriculture, sont soumises à une restriction culturale. Sont exclues de l'utilisation des EUT, toutes les cultures maraichères.
Il est envisagé d'ajouter à moyen terme à ces superficies irriguées par les EUT, 6 mille autres hectares qui seront situés autour du Grand Tunis, respectivement dans les gouvernorats de Ben Arous (2300ha), la Manouba (3200ha) et Tunis (500ha). Ces périmètres sont en cours d'étude. Ils contribueront largement à l'extension des superficies céréalières et fourragères et donc à la sécurité alimentaire du pays.
En outre, de grands projets de recharge des nappes surexploitées menacées d'extinction sont envisagés à partir des eaux usées traitées.
Suite à un choix judicieux des sites de recharge et des aménagements (bassins d'infiltration), les eaux rechargées ne présenteront aucun risque pour l'irrigation grâce à une épuration naturelle à travers les différentes couches du sol.
Contraintes liées à l'eau d'irrigation et défis
La salinisation des périmètres irrigués constituent la menace principale pouvant atteindre ces superficies, notamment celles situées près de la mer ou des sebkhas provoquant une avancée du biseau salin (intrusion de l'eau de mer dans la nappe) et favorisant l'augmentation de la salinité de la nappe phréatique.
Les régions côtières, la Tunisie centrale et le sud du pays sont les plus menacés. D'ou le recours au drainage et au lessivage des périmètres irrigués (apport d'une quantité supplémentaire d'eau pour réduire le volume des eaux saumâtres et les évacuer vers les sebkhas et oueds).
Quant à la recharge des nappes phréatiques, elle permet de reconstituer les nappes et de réduire leur salinisation précise encore Mme Al-Atiri. La situation est d'autant plus problématique, qu'en moyenne 30% des ressources en eau du pays sont saumâtres avec une salinité supérieure à 3g/l, alors que les rendements des cultures commencent à être affectés à partir de 1,5g/l.
Toutefois et en dépit de ces difficultés, les efforts se poursuivront pour étendre davantage les surfaces des périmètres irrigués. L'ambition, telle que préconisée dans le programme électoral du chef de l'Etat, est de porter la contribution du secteur irrigué à 50% de la valeur de la production agricole totale.
Source : Audinet
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