Institut Paul Scherrer. Jadis antre du nucléaire, il consacre désormais autant de moyens à la recherche sur les énergies renouvelables.
Bienvenue à l’autre bout de la Suisse, à Villigen et Würenlingen! C’est là, perdu dans la verdoyante campagne argovienne, que se cache un complexe scientifique de réputation mondiale, l’Institut Paul Scherrer (PSI).
Avec ses 1300 collaborateurs et son budget annuel de 260 millions, il constitue le plus grand centre de recherche en Suisse.
Chaque année, quelque 2000 scientifiques – sur près de 6000 candidats – accourent des quatre coins de la planète pour y effectuer leurs expériences.
Le PSI, qui célèbre son vingtième anniversaire à la fin de ce mois, doit son nom au célèbre physicien nucléaire, Paul Scherrer – l’homme qui présida autrefois la commission chargée d’étudier une bombe suisse.
Géographiquement, il flirte avec les centrales de Beznau et de Leibstadt. Mais au fil des années, le PSI a cassé son image d’«antre de l’atome» dont une partie de la gauche a même réclamé la fermeture au début des années 90.
Collaboration avec l’industrie. Si, à sa création en 1988, le PSI consacrait 80% de ses activités à la recherche nucléaire, il n’y affecte aujourd’hui plus que 15% de son budget. Il a réussi le pari de sa diversification.
Il déploie désormais la plus grande partie de ses recherches dans des champs d’application aussi divers que la science des matériaux, la médecine, la chimie, la climatologie ou la biologie.
Ses détracteurs d’antan seront surpris de l’apprendre: dans le budget, la part consacrée aux énergies renouvelables, soit environ 35 millions de francs, est désormais aussi importante que celle relative au nucléaire.
Et elle risque fort d’être supérieure prochainement, grâce aux millions apportés par la collaboration avec l’industrie.
«Même si le grand public n’en a pas encore pris conscience, le PSI est l’institution qui déploie le plus d’efforts en faveur des énergies renouvelables en Suisse», souligne Joël Mesot, son nouveau directeur. Il s’agit désormais de rattraper le temps perdu.
Le physicien genevois tend le bras vers la frontière, distante de cinq kilomètres. «En Forêt-Noire, il y a des panneaux solaires sur presque chaque toit de maison, pas ici. Il est vrai que la Suisse a raté le virage des énergies douces vers la fin des années 80», reconnaît-il.
Un système propre et décentralisé. Peu médiatisé jusqu’ici, le PSI est désormais sorti de son relatif anonymat en se forgeant une réputation de leader mondial grâce à ses développements sur la pile à combustible.
Or, cette pile est l’élément clé d’une double révolution qui s’amorce. Dans l’industrie automobile, elle annonce l’avènement de la voiture à hydrogène, qui ne produit pas d’émissions de CO2.
Surtout, le concept entourant cette pile magique pourrait permettre à tout un chacun de produire sa propre électricité, grâce à un système totalement propre et décentralisé.
C’est la vision développée par Belenos Clean Power, un partenariat entre Swatch Group, Group E et le PSI notamment.
Le citoyen lambda aurait ainsi des panneaux solaires sur son toit, un électrolyseur – appareil séparant l’eau en hydrogène et oxygène – dans sa cave, et enfin quelques bonbonnes pour stocker cette énergie. Impossible de faire plus écologique.
Facile à dire, plus difficile à traduire dans les faits. Cela fait quinze ans que les chercheurs du PSI travaillent sur la pile à combustible. Ils l’ont d’abord intégrée dans un bateau, puis sur une «plateforme technologique de test».
«Nous n’osions pas encore appeler cela une voiture», sourit le professeur Alexander Wokaun, responsable du domaine Energie générale au PSI. Ce n’est qu’ensuite que l’aventure industrielle a commencé en 2002 avec Michelin, dont le centre de recherche et développement – à Givisiez (FR) – a accouché du prototype Hy-Light I puis II: une voiture de quatre places avec une autonomie de 400 km, avant que l’équipementier français ne cesse sa collaboration avec le PSI.
Atout décisif. A Villigen, les chercheurs du PSI disposent d’un atout décisif, l’accélérateur de protons, un prototype sans équivalent au niveau mondial.
Dans le domaine médical par exemple, l’utilisation des faisceaux de protons a déjà fait des miracles dans le traitement de certains mélanomes (une tumeur de l’œil), ayant permis de développer une thérapie affichant un taux de succès de 98% sur cinq ans.
Depuis 2004, il est également possible de traiter des tumeurs profondes dans diverses parties du corps comme le cerveau ou la colonne vertébrale.
De plus, cet accélérateur produit des neutrons dont une des propriétés est de facilement pénétrer à l’intérieur de la pile à combustible, rendant ainsi l’hydrogène visible. Les chercheurs ont donc la possibilité de mesurer les performances de la pile au niveau microscopique et de déceler ses moindres lacunes.
Des entreprises du monde entier accourent en Argovie pour venir y tester leurs piles. On sait que, dans l’industrie automobile, toutes les marques planchent fébrilement sur le développement d’une voiture à hydrogène.
Y a-t-il dès lors des constructeurs parmi les clients du PSI? «Tout cela est confidentiel, mais nous sommes en tractations avec quelques-uns d’entre eux. C’est un succès pour notre institut», déclare Joël Mesot.
Concentrateur solaire. Pour produire son hydrogène, le PSI a construit sur son site un concentrateur solaire, qui focalise une énergie équivalant au rayonnement de 5000 so leils grâce à un fascinant champ de miroirs. Mais le professeur Wokaun veut aller plus loin.
Le PSI esquisse désormais un réacteur plus puissant, construit à Villigen avant son transfert à Almeria en Espagne en 2010.
Il s’agit là d’un projet de centrale thermique solaire, exploitant l’énergie du soleil directement sans passer par des cellules photovoltaïques. «Notre but est d’abaisser le coût de production de l’hydrogène à 20 centimes le kWh. Un coût encore deux fois plus cher que le diesel, mais qui se rapproche à grands pas des prix du marché», souligne Alexander Wokaun.
A l’heure de fêter ses 20 ans, le PSI ne compte pas se reposer sur ses lauriers. Il prépare l’avenir et songe à développer le successeur de la Source de lumière suisse (SLS), ce microscope géant permettant aux chercheurs de déterminer la structure des matériaux avec une précision sans précédent.
Or, d’ici à 2016, le PSI compte bien inaugurer la nouvelle génération de source de lumière basée sur la technologie du laser à électrons libres, le X-FEL.
Celui-ci doit produire des intensités de lumière encore 10 milliards de fois supérieures à celles de la SLS! C’est un projet – il n’y en a que trois autres dans le monde – devisé à 250 millions investis sur une période de quatre à huit ans.
Avec ce nouvel instrument, le PSI reprendra une longueur d’avance sur d’autres centres de recherche. En ce qui concerne par exemple la pile à combustible, il permettra de filmer – et non plus seulement de photographier – le fonctionnement au niveau microscopique de la partie vitale de la pile, soit sa membrane.
«Avec X-FEL, nous assurons la compétitivité du PSI pour ces vingt prochaines années», conclut Joël Mesot.
Source : l'Hebdo
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