Le phare de Trafalgar, qui avait toisé la célèbre bataille maritime entre les flottes franco-espagnoles et anglaises, en 1805, a gardé toute sa force symbolique.
A ses pieds, assis religieusement dans l’attente du coucher de soleil, ils sont des dizaines, tous les soirs, à admirer la vue.
A
perte d’horizon, tant vers Cadix qu’Algesiras, s’étend une des rares côtes
sauvages espagnoles épargnées par les balafres immobilières.
«C’est un paradis qui attire du monde, on fera tout pour le protéger», s’emporte Rafael Quiros, le maire de Barbate, une des municipalités gérant une portion de ce littoral.
«Monstres». Car ce lieu virginal serait menacé. Non par des lotissements côtiers, mais par des moulins à vent hérissés sur la mer. L’ennemi : un projet de parc offshore, supervisé par le gouvernement central, et constitué de 273 éoliennes au large de la province gaditane.
Les engins seraient
situés à au moins 10 kilomètres de la côte mais, étant donné leur envergure
(170 mètres de hauteur), on est persuadé ici que leur installation aurait un
effet irréparable sur la beauté du site.
«D’ici, on voit le Maroc par beau temps. Alors, ces monstres à hélice, pensez bien comme ils nous gâcheraient la vue. On ne se laissera pas faire !»Rafael Quiros n’est pas seul dans ce combat.
Ses homologues des municipalités voisines de Vejer et de Conil font partie de la fronde. Et aussi les associations de quartier, les cofradías (confréries) de pêcheurs, les syndicats, tous réunis en une plateforme citoyenne.
«La mer de Trafalgar sans éoliennes» : ce slogan en lettres rouges, sur fond de mer bleu-azur, barre une affiche collée sur les murs de Barbate ou Conil, et tout au long des plages environnantes.
A Barbate, petit port de 22 000 habitants, vivant depuis des siècles de la pêche au thon - et du trafic du haschisch venant du Maroc -, les pêcheurs sont les plus véhéments. «Le système des quotas a déjà mis au chômage des dizaines d’entre nous, enrage Antonio, un des doyens de la confrérie. Si on nous impose ces éoliennes, c’est notre fin.»
Pour eux, l’érection des moulins à vent - après perforation dans les fonds marins sur 15 à 20 mètres de profondeur - modifierait les trajets des thons et les ferait disparaître de la zone.
Ce projet s’inscrit dans un vaste plan. Au total, 31 parcs éoliens offshore sont prévus le long des côtes espagnoles, en Galice, en Catalogne et en région valencienne. Près de la moitié se concentre autour de Cadix, dans la zone du détroit de Gibraltar, qui bénéficie de fonds sous-marins propices et où les vents sont puissants.
Efficaces. Dans le nord de l’Europe, au Danemark surtout, les parcs éoliens offshore ont montré leur efficacité. Ils ont tout pour séduire les autorités espagnoles : sur la Péninsule, qui a fait de l’éolien une de ses vertus cardinales (la plus grande puissance installée d’Europe, derrière l’Allemagne), les meilleurs sites sont déjà occupés et la saturation menace.
Or le gouvernement Zapatero, qui milite pour les énergies renouvelables, ne jure que par les moulins à vent. Avec d’autant plus de force que la facture énergétique du pays est lourde et que les socialistes espagnols entendent réduire l’apport du nucléaire - 20 % aujourd’hui.
Les 31 parcs éoliens offshore devraient ainsi générer 2 800 mégawatts, soit l’équivalent de trois centrales.
Ces éoliennes sont prévues pour 2012, mais leur emplacement se joue dès maintenant. Des géants nationaux du «renouvelable», tels Iberdrola, Enerfin ou Acciona, qui planchent sur la question depuis 2003, disposent d’une technologie au point, et devraient commencer à perforer dans les fonds marins d’ici deux ans. La validation des zones privilégiées est imminente.
D’où la levée de boucliers de certaines municipalités et des groupes de pêcheurs. A Castellon, la confrérie locale n’hésite pas à avertir que les éoliennes signeront leur arrêt de mort.
Moindre mal. Les écologistes, eux, sont dans l’embarras. D’un côté, ils craignent que ces géants à vent perturbent la faune et la flore marines, et affecte les migrations d’oiseaux.
De l’autre, ils y voient un moindre mal : l’éolien est souhaitable, davantage en mer que sur terre. «Les moulins à vent, dit-on à Ecologistas en acción, sont bien moins agressifs contre la nature que les pêcheurs.»
Les écologistes, dont une majorité appuie les parcs off-shore, exigent toutefois des «études préalables sérieuses» pour évaluer l’impact sur les «sites protégés» et la vie animale.
Source : Libération
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