«Quand un camion quitte Tanger pour l'Espagne avec 20 tonnes de
tomates à son bord, ce sont 100 camions-citernes invisibles qui
l'accompagnent, transportant les 2.000 mètres cubes d'eau qu'il
a fallu pour leur donner naissance», indique l'écrivain
Erik Oresenna, membre de l'Académie française, dans son
livre «L'Avenir de l'eau».
Cet exemple est édifiant à plus d'un titre. En effet, la
gestion non rationnelle de nos ressources hydriques dans le
Souss-Massa, région du Sud où se pratique une culture
réservée essentiellement à l'exportation menace,
à long terme, notre sécurité alimentaire.
L'assèchement des eaux souterraines a poussé de nombreux
villageois à s'exiler dans les villes.
Ainsi, pour
alerter la communauté internationale sur le danger de la crise
d'eau qui guette certaines régions du monde, le dernier rapport
de l'ONU sur les ressources hydrauliques, publié à la
veille du 5e Forum mondial sur l'eau qui s'est déroulé 16
au 22 mars à Istanbul, dresse une situation alarmante.
Selon ce
rapport, notre pays se situe dans une zone à risque, qui
souffrira de pénuries structurelles de l'or bleu à
l'horizon 2020. Casablanca est donc citée comme ville qui
dépendra dans le futur du transfert d'eau à longue
distance.
Ce rapport, publié tous les trois ans, ne se contente
pas de décrire les différentes facettes de cette crise
dont les signes graves se multiplient sur la planète, mais lance
un appel pressant aux gouvernements pour passer à l'action.
«Il faut agir d'urgence pour éviter une crise
globale», dit dans le préambule de ce rapport le directeur
de l'Unesco, Koïchiro Matssura. Le Maroc peut se prévaloir
d'avoir construit plus de
100 barrages pour répondre aux besoins croissants en eau.
Toutefois,
cette politique n'a pas été soutenue par une vraie
gouvernance. Sur ce registre, plusieurs instruments sont en panne.
Ainsi, le Conseil supérieur de l'eau et du climat (CSEC),
chargé en 2001 d'élaborer le plan national sur l'eau, ne
s'est pas réuni depuis cette date.
Pour ce qui est de la loi
10-95 sur l'eau (dans sa treizième année), elle n'a
toujours pas été traduite sur le terrain, faute de
décrets d'application. Contacté pour expliquer les
raisons de ces retards, le secrétariat d'Etat à l'Eau,
chargé de ce dossier, a préféré ne pas
répondre.
Il semble que le nouveau gouvernement n'est pas
prêt d'avancer sur le dossier de l'eau comme il l'a fait pour
l'agriculture, l'énergie, le tourisme, etc.
Cette
politique mène à d'autres abus. Sans parler des
gaspillages de l'agriculture, l'exploitation illégale des eaux
souterraines par le forage des puits dans les «hammams»
(bains publics) et dans les villas représente un autre danger
pour ces eaux.
Pour ce qui est de la pollution, ce
phénomène ne cesse pas de se développer.
«Rien que pour le Grand Casablanca, il existe près de
2.000 unités industrielles qui déversent leurs effluents
directement dans la mer via sept collecteurs, soit 80% de l'industrie
de cette région.
On y trouve toutes sortes d'industries
à fort potentiel polluant dont la chimie et la parachimie,
l'agroalimentaire, la mécanique et la métallurgie et
enfin le textile et le cuir», révèle en 2007 un
rapport initié par le Programme d'actions prioritaires à
court et moyen termes pour l'environnement de la Commission
européenne (SMAP III).
Pour les défenseurs de
l'environnement, cette situation n'a que trop duré et il faut
décliner la loi de l'eau en stratégie nationale pour le
développement social et la durabilité de la
société.
«Il faut accélérer les
programmes qui ont été mis en place pour la
dépollution de l'eau par la sauvegarde des cours d'eau, des
nappes phréatiques en tenant compte de cette ressource sur
l'ensemble du territoire avec en premier lieu le démarrage des
travaux dans les bassins importants : Sebou, Oum R'bia, Moulouya,
Tensift», indique Mehdi Lahlou, président de l'Alliance
pour le contrat mondial de l'eau (ACME-Maroc).
Cette ONG appelle
aujourd'hui à «considérer le droit à l'eau
comme un droit humain fondamental et à organiser sa distribution
comme un service social de base qui ne peut être laissé
à la loi de l'offre et de la demande.
«Pour ce
faire, nous demandons à l'ONU de prendre en charge
l'organisation du Forum mondial de l'eau à l'avenir, comme une
première étape en vue d'inscrire le droit à l'eau
dans la déclaration universelle des droits de l'Homme»,
conclut M. Lahlou.
Face à la pression environnementale et l'explosion
démographique, les pays du sud et de l'est du bassin
méditerranéen seront menacés par
l'insécurité alimentaire dans les prochaines
années.
Dans un rapport publié mercredi 8 avril, le
Centre international des hautes études agronomiques
méditerranéennes (CIHEAM) appelle lui aussi à
l'urgence de «repenser le développement rural».
Pour
Plan Bleu, centre d'activités régionales du programme des
Nations unies pour l'environnement dans le bassin
méditerranéen, qui a participé à la
rédaction de ce rapport, le réchauffement climatique va
imposer au milieu rural des grandes contraintes en matière de
disponibilités d'eau et de terres.
Selon lui, il est temps de
revoir les politiques agricoles dans ces régions, car «la
bipolarité du modèle actuel, avec une agriculture
d'exportation très peu durable et une agriculture familiale qui
se délite, n'offre pas de perspectives ».
Source : Le Matin