La Libye a présenté cette semaine à Istanbul les détails d'un projet pharaonique en voie d'achèvement, d'un coût de 33 milliards de dollars, pour extraire de l'eau enfouie en profondeur sous le Sahara et l'acheminer à travers le désert vers les villes de la côte.
Pour la première fois dans une grande réunion internationale, des officiels libyens ont détaillé ce "Grand projet de rivière faite par l'homme", qualifié de pure folie par certains et qui soulève de nombreuses questions en termes de gestion de la ressource en eau.
Le projet, dont les deux-tiers sont achevés, est économiquement viable et ne devrait susciter aucun conflit, a assuré Fawzi al Sharief Saeid, responsable de la gestion des eaux souterraines.
Selon lui, l'ardoise totale, qui inclut l'investissement initial et les coûts d'entretien sur 50 ans, s'élève à 33,69 milliards de dollars.
"Les études ont montré que le projet était plus économique que les autres alternatives" telles que la construction d'usines de dessalement ou l'importation d'eau depuis l'Europe, assure-t-il.
Si les quatre pays qui ont accès à cet aquifère - Libye, Soudan, Tchad et Egypte - utilisent ses ressources suivant les prévisions actuelles, "les réserves utilisables devraient durer 4.860 ans", affirme-t-il.
En dépit de son nom, le projet n'a rien d'une rivière.
Concrètement, il implique l'installation de 4.000 km de gigantesques "tuyaux" de 4 mètres de diamètre qui permettent d'acheminer l'eau pompée dans le désert jusqu'à la côte nord du pays, où vivent la majorité des 5,7 millions d'habitants.
Lancé au début des années 80 par le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi comme un moyen de parvenir à l'auto-suffisance alimentaire, ce projet est présenté dans des brochures distribuées lors du Forum mondial de l'eau comme la "Huitième merveille du monde".
En dépit de son gigantisme, il est mené, depuis de nombreuses années, dans une relative discrétion et reste assez mal connu, explique Eugenia Ferragina, spécialiste des questions de l'eau au Conseil de recherche national, en Italie.
Il a longtemps été entouré d'un parfum de secret qui a alimenté diverses rumeurs, évoquées dans les médias occidentaux en 1997, selon lesquelles les tuyaux étaient utilisées pour stocker des armes chimiques.
"C'est la première fois lors d'un Forum mondial de l'eau que nous avons une présentation (de ce projet) par nos collègues libyens", a expliqué Andras Szollosi-Nagy, de l'Unesco, qui a salué la transparence de la présentation.
Mais nombre d'experts sont très dubitatifs sur le résultat.
"Cette eau ne sera jamais remplacée", a rappelé Mark Smith, spécialiste des question d'eau au sein de l'IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature, jugeant qu'il aurait été de loin préférable, d'un point de vue économique et environnemental, d'"acheter de la nourriture dans des lieux qui bénéficient de sources d'eau renouvelables".
Pour Eugenia Ferragina, le projet de Kadhafi est "absurde d'un point de vue économique" et crée une source de tensions potentiels avec les pays voisins.
"Cela peut devenir une course au pompage, une course pour voir qui arrive à extraire l'eau en premier", a-t-elle expliqué.
Dans un livre sur les pénuries d'eau intitulé "Lorsque les rivières s'assèchent", l'écrivain britannique Fred Pearce dresse un bilan sans concession de ce projet pharaonique.
"Les énormes investissements initiaux et les coûts croissants de pompage dans des réserves de plus en plus profondes sous le désert font du blé cultivé avec de l'eau du Sahara l'un des plus chers de la Terre".
Source : RomandieNews
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