«L'eau est le pétrole du XXIe siècle», aime à répéter Andrew Liveris, le patron du groupe chimique Dow. L'image est appropriée et moins exagérée qu'il n'y paraît.
Un peu partout sur la planète, l'eau douce et potable se fait rare. Dilapidée, polluée, pompée en masse pour les cultures (70% de la consommation), la précieuse molécule de la vie est depuis longtemps au centre de conflits géopolitiques.
Si la sonnette d'alarme est tirée depuis trop longtemps par les scientifiques, la production et le traitement de l'eau deviennent l'objet d'investissements tout aussi importants que ceux prévus dans l'énergie.
C'est en Espagne, avec un automne et un hiver que l'on redoute secs, que la bataille pour l'eau prend déjà des allures de compte à rebours dramatique. Barcelone la fière, en conflit avec Madrid, a passé ce printemps des contrats pour importer de l'eau par bateaux entiers en provenance du port de Marseille.
La ville, qui rêve d'un gigantesque aqueduc pour détourner l'eau du Rhône à Arles, attend avec impatience la mise en service, en juin 2009, de la grande centrale du Prat, une usine de dessalement qui devrait soulager un peu sa soif.
La capitale catalane n'est pas la seule. La péninsule Ibérique prévoit de presque tripler la capacité de ses usines sur la côte méditerranéenne d'ici à 2010.
Globalement, la production mondiale d'eau dessalée ne représente que 0, 45% de la consommation d'eau douce. Mais la production croît vite, au rythme de 10% par année.
Et surtout, les projets ne sont plus confinés au Proche et au Moyen-Orient mais se multiplient sur le pourtour de la Méditerranée, en Europe du Sud, aux Etats-Unis et en Chine. La ruée vers la production d'eau douce a relancé l'industrie du dessalement.
Sur le plan technique, on distingue deux grandes familles. La première consiste en une distillation de l'eau de mer; le sel est séparé par évaporations successives.
Ces usines consomment de grandes quantités d'énergie et sont donc situées à proximité des centrales thermiques afin d'augmenter les rendements. La distillation domine le marché (90%), mais peu à peu elle cède le pas au procédé d'osmose inverse.
Cette technologie, nettement moins gourmande en énergie, utilise des membranes synthétiques semi-perméables, qui laissent passer l'eau et retiennent le sel. Les ingénieurs sont parvenus à améliorer les rendements et à augmenter la fiabilité des membranes.
Alors que les installations de distillation consomment entre 15 et 7,5 kWh par mètre cube d'eau, les installations à osmose inverse parviennent à ramener cette consommation dans une fourchette de 4 à 5,5 kWh.
Cela reste très cher, portant le prix de l'eau douce à 1,03 franc/m3 ou à plus du double suivant la configuration locale. Non seulement c'est prohibitif, mais la facture de l'eau fait exploser les scénarios énergétiques.
Ainsi, en Californie, le cumul des projets d'usines de dessalement à l'étude augmenterait la consommation énergétique de 5% par rapport à 2001. Or, comme le relève Sabine Lattemann dans le magazine scientifique La Recherche: «En 2001, le coût énergétique nécessaire pour produire l'ensemble de la consommation d'eau de l'Etat représentait déjà 19% de la dépense énergétique totale de la Californie!» L'Espagne craint que les projets de dessalement d'eau de mer ne viennent encore accroître son déficit énergétique.
L'Australie, qui affronte depuis plusieurs années de graves sécheresses, semble avoir compris l'enjeu. Elle tourne son regard vers les énergies renouvelables.
Ainsi, à Perth, un champ d'éoliennes a été installé pour compenser les émissions de CO2 de sa grande usine de dessalement à osmose inverse. Selon Sabine Lattemann, la Californie conditionne l'autorisation de nouvelles usines au développement de sources d'énergie non fossiles. Mais l'énergie n'est pas le seul défi des usines de dessalement.
De récentes études ont montré que les rejets de la saumure dans les mers et les océans perturbaient gravement les écosystèmes côtiers en augmentant la teneur en sel, sans parler des pollutions chimiques engendrées par les rejets de métaux issus de la corrosion des tuyauteries.
Malgré beaucoup d'efforts, le dessalement de l'eau de mer n'est toujours pas la solution dont rêvait tant le président Kennedy lorsqu'il lança son appel aux scientifiques du monde entier pour qu'ils améliorent les procédés.
Mais c'est sans aucun doute un moyen qui peut être préférable aux projets de détournement des rivières et des fleuves qui déchirent les peuples.
En réalité, la multiplication «des guerres de l'eau» que beaucoup prévoient pourrait être évitée si le système économique parvenait à faire un usage plus modéré de la précieuse molécule. A commencer par l'amélioration des systèmes d'irrigation et d'épuration, où trop d'eau est gaspillée ou souillée.
Réunis il y a peu à Montpellier, au 13e Congrès de l'eau, les scientifiques du monde entier ont surtout insisté sur une meilleure gestion des réserves. Trop de gouvernements ont tardé à donner à l'eau une valeur, et donc un prix qui lui confère un statut de ressource naturelle qui la préserve.
D'énormes changements sont nécessaires dans l'agriculture, où l'irrigation est souvent abusive. Et dangereuse même, à long terme, quand les agriculteurs puisent sans limitation dans des rivières et des nappes, contribuant non seulement à l'épuisement des réservoirs mais à l'augmentation de la teneur en sel des sols.
Si l'eau devient le pétrole du XXIe siècle, alors il est probable que la citation du patron de Dow sera assez vite complétée par: «Vous avez aimé la hausse brutale des prix du pétrole, vous allez adorer la flambée du prix de l'eau...»
Source : Le Temps
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