"Introduction à l'énergie" est un ouvrage qui vient de paraître. Rachid Benchrifa, professeur universitaire et chercheur au CNRST (Centre national pour la recherche scientifique et technique), un des trois auteurs, nous parle dans cet entretien de la question énergétique au Maroc et de ses enjeux économiques.
LE MATIN : Quelle est l'idée centrale de cet ouvrage ?
RACHID BENCHRIFA : Il
est admis de nos jours que la question énergétique est
devenue d'une importance capitale, et nous sommes tous convaincus par
la vitalité de ce secteur surtout depuis la flambée du
coût de la vie conséquemment à la hausse
vertigineuse des prix du pétrole. C'est dans cette optique que
nous avons insisté dans notre ouvrage sur la
nécessité que doit accorder la classe sociale nationale
à la question de l'énergie.
L'idée principale de l'ouvrage s'articule autour du renforcement du degré de sensibilisation et du niveau d'implication de la société vis-à-vis de l'énergie et la participation à l'instauration d'une culture énergétique générale.
Notre objectif aussi à travers la publication de ce travail est de contribuer à réduire le fossé entre la population et la question énergétique. L'ouvrage traite entre autres les différentes sources et formes d'énergie, les transformations énergétiques et l'impact de chacune d'elles sur notre environnement et sur notre économie nationale.
Comment d'après vous le Maroc appréhende la question énergétique ces dernières années ?
Le secteur énergétique au niveau mondial passe par une mutation profonde. L'explosion de la demande énergétique, les grands défis du changement climatique et la raréfaction des réserves des combustibles fossiles ont poussé les pays du monde entier à élaborer des politiques énergétiques nouvelles basées en premier lieu sur la sécurité d'approvisionnement en énergie et la valorisation de leurs ressources énergétiques locales.
Le Maroc ne peut que suivre cette nouvelle orientation. Il est vrai qu'on assiste ces dernières années à une nouvelle dynamique et nous suivons avec beaucoup d'intérêt l'ambition du Maroc visant à diversifier ses sources d'approvisionnement en énergie, à étendre l'électrification rurale, à promouvoir les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que la consommation d'énergie est un des indicateurs de développement économique et notre consommation énergétique commerciale par habitant ne dépasse pas les 0,4 tonne équivalent pétrole par année.
Il convient de souligner que cette consommation est largement dépassée par nos voisins algérien et tunisien.
Dans la préface de cet ouvrage, vous parlez « d'attentisme, voire d'ignorance » qui caractérisent les rapports des citoyens et de certains responsables par rapport à la question de l'énergie. Pourquoi ?
Cette ignorance de l'importance de la question de l'énergie chez les citoyens trouve son origine essentiellement dans l'insuffisante intégration de la vulgarisation énergétique dans le système éducatif national et à travers les média.
En parallèle il faut souligner la grande révolution qu'a connue le secteur énergétique depuis près de trois décennies sur les plans à la fois technologique et économique. De nouvelles technologies de productions d'énergie, surtout celles exploitant les sources d'énergie renouvelables ont vu le jours, et le monde se prépare actuellement à passer à la nouvelle ère énergétique conciliant l'environnement avec le développement. Malheureusement, on remarque une certaine absence de suivi de ces évolutions dans notre système éducatif.
Dans l'ouvrage ‘Introduction à l'énergie', nous consacrons un grand espace à ces nouvelles notions sur l'énergie et le développement durable.
Les énergies renouvelables présentent un potentiel énorme. Pensez vous que le Maroc les met suffisamment à profit ?
On assiste actuellement à des investissements massifs dans le domaine des énergies renouvelables de par le monde.
Le Maroc est encore très en retard dans ce domaine. Il s'agit de dépasser la stratégie de couvrir la demande énergétique à une autre dimension qui vise à exporter l'énergie d'origine renouvelable.
L'Espagne offre un exemple significatif à cet égard.
C'est un pays pionnier de l'industrie éolienne et thermosolaire dans le monde grâce à sa politique énergétique fiable. Il a une capacité installée fin 2007 en énergie éolienne 130 fois celle du Maroc (114 MW). Ce pays prévoit une capacité éolienne de 20 000 MW en 2010 et ambitionne de tripler les capacités de production en 2020.
L'Europe vise par ses programmes, à tirer profit du gisement exceptionnel en énergies renouvelable que recèle l'Afrique du nord. Le projet ‘Trans-Mediterranean Renewable Energy Cooperation (TREC)' intitulé DESERTEC estime que l'utilisation de moins de 0,3 % de la surface totale du Sahara en utilisant les centrales thermiques solaires satisfera l'augmentation de la demande future de l'Europe et des pays de la méditerranée.
Cela prouve qu'il n'y a aucune limite technique pour exploiter les énergies renouvelables et le caractère intermittent ne constitue plus un handicap, car tout système même le corps humain prévoie le stockage de l'énergie pour la restituer dans le cas du besoin. Les vraies limites dépendent de la décision d'investir dans le domaine et de la volonté politique.
Le Maroc est doté comme vous le dites d'un potentiel important en énergie solaire, il jouit d'un ensoleillement sur une surface horizontale estimé selon des régions entre 1600 kWh/m2.an à 2200 kWh/m2.an.
Les technologies solaires dans ces cas permettent la production annuelle d'environ 100 à 175 GWh/km2. Le pays jouit aussi d'un potentiel éolien très important et de très bonne qualité, la productivité annuelle par km2 peut dépasser les 40 GWh/ km2.
Les technologies de stockage rendent le système de production énergétique plus stable et plus flexible dans son fonctionnement et améliorent l'efficacité et la qualité de la production. L'introduction en particulier du stockage par pompage à grande échelle au Maroc, constitue une voie prometteuse pour pallier l'intermittence de ces sources et présente un intérêt particulier dans le développement de l'exploitation future de ces sources énergétiques.
Le Maroc est doté des sites appropriés à ce genre d'exploitation dans la région de Tarfaya, un certain nombre de dépressions appelées les Sebkhats sont prêtes à l'utilisation. Et vous trouverez tout un chapitre dans le livre 'introduction à l'énergie, 2008' consacré au stockage.
Vous insistez dans votre ouvrage sur l'utilisation rationnelle de l'énergie de la part des générations montantes. Pensez-vous que les citoyens ont conscience de l'importance de gérer au mieux les ressources énergétiques ?
Dans notre unité de recherche TEER (Technologies Economie des Energies Renouvelables), nous considérons que l'utilisation rationnelle de l'énergie, la maîtrise de l'énergie ou aussi l'efficacité énergétique consiste à produire plus et à vivre mieux avec moins d'énergie. Pour cette raison, nous avons consacré tout un chapitre de plus de 30 pages à cette question.
En parallèle à cela, l'unité TEER a déjà établi, dans les limites de ses moyens, un programme d'action, comprenant l'édition d'une série de cahiers énergétiques, de brochures thématiques, de posters, et l'animation de conférences de sensibilisation dans le but de créer une synergie avec les générations montantes. L'objectif de ces actions est de contribuer à sensibiliser plus les citoyens à l'importance de gérer au mieux les ressources énergétiques.
Source : Le Matin
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