L’expert marocain en économie portuaire, Najib Cherfaoui, apporte sa pièce au dossier de la bataille portuaire entre le Maroc et l’Espagne en Méditerranée.
Najib Cherfaoui.
Le métier d’armateur, dans sa conception la plus simple, consiste « à équiper des navires pour la navigation ».
Toutefois, l’armateur ne se limite plus à agir sur le navire. À son image de marin, il associe celle d’un entrepreneur capable de garantir toutes les prestations de transport, du lieu de production au lieu de consommation. Les enjeux de la rivalité maritime se déplacent donc vers les terres.
Au début du XXe siècle, les compagnies maritimes étrangères assurent la totalité du trafic entre le Maroc et le reste du monde. Il serait faux d’en déduire qu’il n’y avait pas, jusqu’alors, des courants marchands d’impulsion spécifiquement marocaine.
L’armateur marocain Comarit surprend tout le monde, lorsqu’après d’âpres et longues négociations, il parvient à acquérir ce pôle « passagers » en janvier 2009, empêchant par là même l’Espagne de verrouiller le Détroit de Gibraltar.
Ces courants sont tout à fait caractéristiques : ils sillonnent les mers de sables. À partir du XIIe siècle, une flotte composée de dromadaires, véritables vaisseaux du désert, donne aux ports du Maroc le statut de plates-formes d’éclatement pour le trafic saharien, ancêtres des actuels ports hubs ; ainsi, Mogador ou Safi.
À côté de ces convois massifs, des unités plus petites, de cent à deux cents dromadaires, parcourent en tout temps le Sahara marocain portant les marchandises là où les grandes caravanes ne passent pas. Ils sont, d’une certaine manière, annonciateurs des actuels feeders. Cependant, la généralisation des bateaux à vapeur porte un coup fatal au trafic caravanier qui disparaît brutalement à partir de l’an 1900.
Il faudra attendre l’année 1918, en pleine guerre mondiale, pour qu’apparaisse une petite flotte de commerce d’État : achat de deux navires argentins de 1200 tonneaux chacun, réquisition du « Fédala », petit bateau de 400 tonneaux de la Compagnie Plisson, et armement du vapeur allemand « Mogador », saisi lors de la déclaration de guerre en 1914.
Mais les résultats d’exploitation se révèlent désastreux, et dès 1922 on renonce à poursuivre l’expérience, avec en conséquence la liquidation de ces trois unités. L’armement marocain se limite alors au cabotage, à la pêche, au pilotage et au remorquage.
De 1923 à 1939, la flotte privée marocaine subit des turbulences. Profitant de quelques dispositions avantageuses, beaucoup de navires étrangers se font immatriculer au Maroc.
L’État réagit par le Dahir du 2 mai 1933 : la nationalité marocaine n’est désormais accordée ou maintenue qu’aux bâtiments effectuant ordinairement une navigation qui intéresse d’une manière directe et principale le trafic des ports d’Afrique du Nord.
Cependant, cette restriction freine l’expansion déjà ralentie de la flotte marchande marocaine : de 1940 à 1944, il n’y a aucun navire de commerce marocain armé pour le long cours.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Compagnie franco-chérifienne de navigation (CFCN), société anonyme fondée à Casablanca le 5 août 1945, constitue l’amorce d’une marine marchande marocaine. Les compagnies de navigation se regroupent le 24 décembre 1949 et fondent le Comité central des armateurs chérifiens.
En 1958, on commet l’erreur stratégique d’étatiser la CFCN sous l’appellation Cie marocaine de navigation (Comanav), et il ne faudra pas moins d’un demi-siècle pour s’en apercevoir.
En 2000, l’armement public (Comanav), en crise, n’a plus de place sur le trafic tiers et ne doit sa survie qu’aux subventions de l’Etat.
Il se replie alors sur le marché local. Mais même sur ce segment les grands armateurs européens lui taillent des croupières. La situation devenant intenable, on se résout enfin à le privatiser en le transférant à son géniteur historique, le célèbre groupe CMA CGM.
L’affaire est conclue en mai 2007 pour la somme de 2,2 milliards de dirhams. Cet armement français, tout à fait méritant et prestigieux, préfère s’en tenir à son métier de base. Pour cela, il conçoit l’idée judicieuse de saucissonner la structure en amont. Il s’attribue donc le pôle « fret » et se réserve la possibilité de se dessaisir du pôle « passagers ».
Comarit surprend tout le monde
Mais l’armateur marocain Comarit surprend tout le monde, lorsqu’après d’âpres et longues négociations, il parvient à acquérir ce pôle « passagers » en janvier 2009, empêchant par là même l’Espagne de verrouiller le Détroit de Gibraltar.
Car il faut le dire, les Espagnols ont presque le monopole du transport de passagers dans la région ouest de la Méditerranée.
Et si ce n’était la réglementation européenne qui interdit l’abus des situations de monopole, le Détroit de Gibraltar serait entre les mains d’une seule société espagnole.
D’ailleurs, cette dernière convoitait et convoite toujours les lignes nationales qu’elle n’a pas pu mettre sous son giron. Cela est d’autant plus aisé pour une compagnie européenne que l’hésitation de la flotte nationale fragilise ses positions sur le trafic voyageur.
Ainsi, avec une flotte composée en moyenne de vingt navires, la période 1956-1972 correspond à une phase d’observation, malgré la volonté affichée de faire bonne figure.
À partir de 1973, soutenue par le code des Investissements, la flotte nationale s’élargit et passe de 20 navires en 1974 à 66 au début des années 80. Cependant, dès 1983, à cause de la suppression de ce soutien, le secteur décline rapidement.
En 2005, la flotte ne compte plus que 43 unités. On recense alors seize compagnies maritimes. Deux d’entre elles traitent presque la moitié du trafic : International maritime transport corporation (IMTC) et la Compagnie maritime (Comarit).
Cependant, elles sont victimes de multiples obstacles administratifs, tout à fait vexatoires. Mais loin de se décourager, elles font preuve de ténacité, luttent pour leur propre survie et relèvent le défi de la globalisation.
En effet, face aux géants espagnols, Comarit aligne cinq ferries et représente superbement le pays en Méditerranée dans le transport des passagers. Face aux géants asiatiques, IMTC s’affiche en partenaire incontournable et prend position de premier armateur d’Afrique dans le domaine du transport des marchandises.
De plus, grâce à leur persévérance, ces deux armateurs d’exception sauvent l’honneur du pavillon national et permettent au pays non seulement, d’avoir une présence active sur la scène mondiale mais aussi de disposer d’une flotte de sécurité authentiquement marocaine.
Source : Les Afriques