L’électricité européenne viendra t-elle des déserts africains en
2030 ? Peut-être, si l’on en croit un projet très solide développé par
une vingtaine de très grands groupes allemands.
Ceux-ci vont créer un
consortium en vue de développer le plus vaste champ de panneaux
photovoltaïques de la planète.
Le projet est pharaonique, aussi bien
par la démesure des investissements prévus que par les objectifs fixés.
Bientôt réunies au sein d’un consortium baptisé Desertec, ces
entreprises veulent faire de l’Allemagne le champion incontesté de la
lutte contre le réchauffement climatique en accomplissant un vieux rêve
: transformer le soleil qui inonde les sables du Sahara en électricité.
Les experts estiment à 400 milliards d’euros, l’équivalent d’une
centaine de centrales nucléaires de nouvelle génération, le montant des
investissements nécessaires sur une période de quarante ans. À elles
seules, les méga-installations solaires coûteraient quelque 350
milliards d’euros.
Le reste serait utilisé pour construire un réseau
haute tension reliant l’Afrique au continent européen, afin de
transporter l’énergie produite. Selon les prévisions, les premiers
foyers allemands doivent être approvisionnés en électricité africaine
d’ici à dix ans.
Les initiateurs du projet estiment qu’ils pourraient
être en mesure de produire 15 % de l’énergie consommée en Europe d’ici
à quinze ans.
Le concept est plus que séduisant puisque comme l’explique le physicien
Gerhard Knies, inspirateur du projet TREC (Trans-Mediterranean
Revewable Energy Cooperation) : “Les déserts chauds couvrent environ 36
millions de km2 sur les 149 millions de km2 de terres émergées de la
planète.
L’énergie solaire frappant chaque année 1 km2 de désert est en
moyenne de 2,2 térawattheures (TWh), soit 80 millions de TWh par an.
Cela représente une quantité d’ énergie si considérable que 1 % de la
surface des déserts suffirait pour produire l’électricité nécessaire à
l’ensemble de l’humanité.” Un projet ambitieux à étudier de près si
l’on considère la demande mondiale croissante en énergie.
Le Sahara deviendrait dès lors le terrain d’une gigantesque centrale
solaire à concentration (CSP) qui alimenterait tout le Maghreb et même
l’Europe. Ce plan solaire méditerranéen apporterait à la fois de
l’électricité et des ressources financières aux pays d’Afrique du Nord.
De plus, cela permettrait de donner à l’Europe une source énergétique
susceptible de l’aider à remplir son objectif de 20 % d’électricité
propre, contre 8 % aujourd’hui.
Enfin, cette centrale pourrait couvrir 15 % des besoins en électricité
de l’Europe en 2050. Les centrales solaires thermiques utilisent des
centaines de miroirs pour concentrer la lumière du soleil dans l’eau.
Cela produit de la vapeur d’eau qui peut à son tour faire tourner les
turbines.
Et ce sont ces turbines qui génèrent l’électricité. Les
centrales solaires thermiques à concentration sont donc
particulièrement adaptées pour des régions chaudes et sèches comme le
désert du Sahara.
Parmi les entreprises fondatrices du consortium, Deutsche Bank, E.ON,
RWE et Siemens ont d’ores et déjà confirmé leur participation.
Plusieurs ministères allemands, des responsables de la Commission
européenne et du Club de Rome participeront à la réunion de lancement.
« Nous voulons lancer cette initiative, afin de pouvoir poser sur la
table des plans concrets d’ici deux à trois ans, a expliqué Torsten
Jeworrek, président du conseil de surveillance de Munich Re à la
Süddeutsche Zeitung. Nous sommes très optimistes quant à la
participation de l’Italie et de l’Espagne. Nous avons aussi reçu des
signaux encourageants d’Afrique du Nord. »
« Desertec est un projet
visionnaire et très excitant. Une surface de 300 kilomètres sur 300
kilomètres dans le Sahara, équipée de miroirs paraboliques suffirait
pour couvrir les besoins en énergie de la planète entière »,
explique-t-on chez Siemens.
Torsten Jeworrek juge qu’« à long terme le réchauffement climatique est
un problème plus inquiétant que la crise financière ». D’après lui, le
coût pesant sur les compagnies d’assurances lié aux catastrophes
naturelles provoquées par le réchauffement climatique augmente de 3 à 4
% par an et deviendra insupportable à terme.
En 2008, l’indemnisation
de ces catastrophes a coûté 200 milliards de dollars aux assureurs.
Selon la Fondation Désertec, le projet pourrait se réaliser dans les
années à venir si les responsables politiques en créent les conditions.
En effet, les contraintes ne sont pas seulement techniques : d’une
part, les centrales doivent être installées dans des pays stables
politiquement pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en
électricité ; d’autre part, il faut trouver les moyens de financer des
investissements colossaux, d’autant que le projet est supposé pouvoir
s’auto-financer à long terme.
Au départ, il aura bien entendu besoin d’une sécurité
d’investissements, par exemple une garantie d’achat à un prix fixé.
Mais l’électricité ne doit pas être subventionnée dans la durée.
Desertec devrait être concurrentiel d’ici 10 à 15 ans, selon Torsten
Jeworrek.
L’idée du projet Desertec est née au sein d’un réseau mondial de
scientifiques, de responsables et d’entrepreneurs, le TREC, qui l’a
développée en collaboration avec la branche allemande du Club de Rome.
Le Centre allemand de recherche aérospatiale (DLR) a mené des études
techniques, financées par le Ministère allemand fédéral de
l’Environnement.
L’étude a permis de conclure qu’en moins de 6 heures, les zones
désertiques du globe reçoivent du soleil la quantité d’énergie que
l’humanité consomme en une année. La fondation Désertec s’est ainsi
lancé le défi d’exploiter cette énergie inépuisable à un coût
raisonnable.
Le projet prévoit la construction de vastes centrales
solaires thermiques à concentration (CSP) en divers points d’Afrique du
Nord.
Les études ont montré qu’il suffirait d’installer des champs de
collecteurs solaires sur environ 0,3 % des surfaces désertiques du
globe pour couvrir l’ensemble des besoins mondiaux en énergie.
En
complément, il est prévu d’exploiter l’énergie éolienne le long de la
côte marocaine et en Mer Rouge, et d’utiliser d’autres techniques
solaires, telles que le photovoltaïque concentré.
Quant au transport de cette électricité solaire jusqu’en europe, la
technologie HVDC (High Voltage Direct Current) permet de transporter
l’électricité sur des milliers de km en limitant fortement les pertes.
Elles sont seulement de 3 % pour 1000 km à un coût standard (Les pertes
peuvent être davantage réduites, jusqu’à 0,3 % pour 1000km, mais à un
coût plus élevé).
La perte globale du transfert Afrique du nord / Europe (3000km) est
donc d’environ 10,5 à 11 %. D’après le groupe suisse/suèdois ABB,
leader mondial de l’HVDC, le transfert HVDC de l’électricité solaire
saharienne vers l’Europe (700 TWh) conduit à une augmentation du kWh
CSP d’un demi centime d’euro, ce qui est presque négligeable. Un réseau
connectant l’Europe, l’Afrique du nord et le Moyen-Orient est tout à
fait envisageable techniquement, de plus, la technologie HDVC permet de
réaliser des réseaux électriques très stables.
Un projet de production et de transport d’électricité solaire est déjà
à l’étude entre l’Algérie et l’Allemagne. D’une puissance de 6 000
Mégawatts, il nécessiterait l’installation d’un câble long de 3 000 km
qui, partant de la ville de Adrar, traversera la Sardaigne, l’Italie du
Nord et la Suisse pour atteindre Aachen (Aix-la-Chapelle).
Le projet « Desertec » est tout sauf utopique, si l’on considère
l’augmentation inexorable du prix des énergies fossiles, l’urgence
d’une réduction massive des émissions mondiales de gaz à effet de serre
et les progrès technologiques remarquables intervenus en matière de
technologies solaires depuis 20 ans.
En outre, un tel projet pourrait
constituer le moteur durable d’un nouveau partenariat euro-africain et
permettre enfin le décollage économique d’une des régions du monde les
plus pauvres mais qui détient pourtant les gisements inépuisables
d’énergie propre dont notre continent aura besoin au cours de ce siècle.
Source : Enerzine